15 septembre 1994 |
Strike out
M�me si personne ne verra Moises Alou, Marquis Grissom, Larry Walker ou les autres joueurs des Expos de Montr�al piqueter sous la pluie, devant un Stade olympique d�sert, pour faire valoir la justesse de leurs revendications salariales, la gr�ve qui s�vit pr�sentement dans le baseball majeur n'en r�unit pas moins tous les ingr�dients du conflit de travail traditionnel, estime un sp�cialiste des n�gociations collectives, Jean Boivin, professeur au D�partement des relations industrielles.
�Que ce soit pour des athl�tes professionnels ou pour du monde ordinaire, c'est le genre de conflit qui survient dans un contexte de prosp�rit�, quand les profits de l'industrie sont � la hausse. Quand un pareil contexte pr�vaut, les employ�s syndiqu�s ont plus de force de n�gociations. Dans l'ensemble justement, l'industrie du baseball conna�t des ann�es tr�s prosp�res. Seuls les plus petits march�s de la ligue, dont Montr�al, connaissent des difficult�s parce que leurs revenus plus modestes ne leur permettent pas de suivre la hausse des salaires.� Les �quipes �voluant dans de petits march�s se voient donc forc�es d'aligner des joueurs qui ne co�tent pas cher, des marginaux ou de jeunes joueurs qui, apr�s quelques ann�es, peuvent devenir agents libres et offrir leurs services � des �quipes plus offrantes.
Afin de prot�ger les petits march�s et de mettre un frein � la flamb�e des salaires, les propri�taires des �quipes de baseball veulent imposer un plafond salarial comme l'ont fait r�cemment aux �tats-Unis les �quipes professionnelles de football et de basketball. Selon cette formule, les propri�taires sont tenus de ne pas d�penser plus qu'un certain montant en salaires pour toute l'�quipe. Les joueurs vedettes peuvent toujours d�crocher de riches contrats mais la tarte qui reste pour leurs co�quipiers est alors plus petite. Au nom de la libre-entreprise, les joueurs s'opposent farouchement � l'instauration d'un tel plafond. �Encore l�, c'est une situation typique de tous les conflits caus�s par des questions de principes ou par des sujets qui se pr�tent mal au compromis. On peut n�gocier un pourcentage d'augmentation de salaire, par exemple, mais, dans le cas d'un plafond salarial, il n'y a pas grand chose � n�gocier : tu l'adoptes ou tu ne l'adoptes pas. On entre dans une phase plus complexe du conflit surtout que la partie qui va c�der va perdre la face. Le conflit pourrait �tre tr�s long, surtout si la saison est annul�e.�
Paradoxalement, observe Jean Boivin, contrairement � tout ce qu'on observe dans les conflits de travail des autres industries, ce sont les joueurs de baseball et non les propri�taires qui se font les champions de la libre-entreprise et qui demandent qu'on laisse les forces du march� jouer librement. �Toutes les gr�ves pass�es dans le baseball majeur ont �t� gagn�es par les joueurs et ils le savent. Ils ont une moyenne de 1. 000 au b�ton jusqu'� maintenant dans les conflits qui les opposent aux propri�taires mais �a ne veut pas dire qu'ils ne frapperont pas une petite chandelle � l'avant-champ cette fois-ci, souligne Jean Boivin, en avouant un petit penchant pour la position des propri�taires dans le pr�sent conflit. Contrairement � ce qu'on a vu dans le pass�, les propri�taires font preuve d'un esprit de solidarit� qu'on ne leur connaissait pas.� Personne ne peut donc pr�dire l'issue de cette gr�ve et d'ailleurs, le baseball, riche en enseignements philosophiques profonds, ne nous a-t-il pas appris que le match n'est pas termin� tant que le dernier retrait de la derni�re manche n'a pas �t� effectu�?
Quand m�me scandaleux de voir ces multimillionnaires r�clamer plus �pais de confiture et de Nutella sur leur pain alors qu'autour d'eux, une bonne partie de la population est contrainte � manger du pain noir? � Dans un sens oui, admet Jean Boivin, mais il faut cependant reconna�tre que l'argent est l� et que le baseball n'est pas une industrie qui vit de subventions gouvernementales. Le baseball est un produit de consommation tr�s populaire et tant que les gens vont payer leur billet au guichet et que les droits de t�l�vision vont demeurer aussi g�n�reux, �a va continuer. L'�conomique justifie la situation dans laquelle se retrouve le baseball aujourd'hui, c'est conforme aux principes de notre soci�t�.� Reste qu'un repr�sentant du gouvernement Clinton, appel� � intervenir pour rapprocher les deux parties, n'a trouv� qu'un mot pour d�crire l'�tat d'esprit qui r�gnait dans la salle de n�gociations : cupidit�. D�claration troublante surtout quand on pense que quelqu'un a d�j� �crit que �qui ne comprend l'essence du baseball ne peut comprendre l'�me du peuple am�ricain�...
JEAN HAMANN
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