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6 octobre 1994 ![]() |
Claudine Desautels: les assiettes de Manet
Pay�s pour faire acheter le consommateur, les publicitaires ne reculent devant rien pour mousser la vente d'un produit. Fouillant le subconscient de l'�tre humain, ils cherchent la petite faille par o� s'immiscer, sur le mur de nos faiblesses et de nos habitudes. Dans son m�moire de ma�trise effectu� sous la direction d'Elliott Moore, du D�partement d'histoire de l'art, Claudine Desautels explore sous toutes ses facettes un des moyens fr�quemment employ�s en publicit� pour faire vendre:
l'utilisation des oeuvres d'art.
Partant de la pr�misse que l'art est associ�e au luxe donc au prestige, la chercheuse a examin� une quinzaine de publicit�s publi�es dans la revue Ch�telaine au cours des ann�es 1980. Parmi ces publicit�s o� l'oeuvre d'art est r�cup�r�e au profit de la vente, on trouve, entre autres, celle du vin Cresta Blanca repr�sentant le David de Michel-Ange, qui tient � la main une bouteille de ce modeste vin de d�panneur.
Selon Claudine Desautels, cet exemple illustre bien le processus de m�diation du d�sir, moteur de la vente, si on peut dire. �Ici, explique-t -elle, chacun des observateurs que nous sommes est le sujet, l'objet du d�sir est, bien entendu, le vin Cresta Blanca, et le rival est l'Autre. Cet Autre Incarne la culture et la richesse, celui qui les poss�de d�j�. Dans le cas pr�sent, le David constitue l'objectivisation du go�t du rival, le bon go�t fait objet, en fait la photographie de l'�me du rival. Reconnaissant le g�nie de l'artiste et constatant l'association de cette oeuvre � un produit, le sujet en conclut que ce vin est l'apanage des esprits sup�rieurs et que par cons�quent, sa propre consommation de ce vin lui apportera au moins l'apparence de l'esprit sup�rieur que poss�de sans doute le rival.�
M�me chose pour Le D�jeuner sur l'herbe d'�douard Manet, o� l'observateur le moindrement attentif d�couvre que les convives ne mangent pas dans de la fine porcelaine mais bien dans des assiettes de carton Royal Chinet discr�tement pos�es sur le sol. Aur�ol�e de prestige, la vaisselle Royal Chinet acquiert ainsi ses lettres de noblesse et, par la m�me occasion, augmente ses chances de figurer sur la table du consommateur. ��videmment, note Claudine Desautels, les publicitaires vont choisir des oeuvres d'art largement m�diatis�es afin que le public puisse reconna�tre l'oeuvre facilement, ce qui du exclut du m�me coup les oeuvres abstraites.�
Sans aller jusqu'� d�noncer l'utilisation de l'oeuvre d'art en publicit�, la chercheuse pr�cise cependant que cette approche bouscule quelque peu la th�orie de Kant, selon laquelle l'oeuvre d'art est gratuite: �� partir du moment o� on l'utilise pour vendre un produit, l'oeuvre d'art devient un objet et perd sa gratuit�. En fait, c'est utilis� l'unitilisable.�
REN�E LAROCHELLE
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