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6 octobre 1994 ![]() |
CONF�RENCE
Le v�ritable �ge d'or
Tous les hommes se souviennent d'un paradis dont la perte est li�e � un sentiment de culpabilit� et � une faute originelle: avoir gout� aux fruits de l'arbre de la connaissance.
Dans une soci�t� o� la com�die du langage bat son plein, les personnes de 60 ans et plus ne peuvent plus �tre d�sign�es comme des �vieux�, un mot trop �vocateur, ou pire des �vieillards�, terme r��llement insultant. Les magasins, les mus�es, les cin�mas, les clubs sociaux, les organismes communautaires ont donc adopt� une nouvelle appellation, �l'�ge d'or�, afin d'�viter de froisser cette portion de la population sans cesse croissante.
�Nous avons la manie du baume verbal, s'exclame Jacques Desautels, professeur au D�partement d'histoire de l'Universit� Laval. Nous parlons des choses qui font mal avec des paraboles vides de sens.� Mais si les partisans de la langue de la rectitude savaient ce qui se cache derri�re cette expression de l'�ge d'or, ils fuiraient sans doute � toutes jambes en abandonnant le mythe � son triste sort. Mardi dernier, Jacques Desautels soulevait un coin du voile, en inaugurant le cycle de conf�rences �Les rendez-vous Universit� Laval-Le Soleil�, avec une allocution intitul�e: �L'�ge d'or ou les illusions d'un r�ve.�
G�n�ralement, lorsque les historiens �voquent l'�ge d'or, ils font r�f�rence � une p�riode florissante, qu'elle se situe � la Renaissance pour Venise ou � l'antiquit� pour les Grecs. Les r�cits et les mythes contribuent � la nostalgie de cette p�riode perdue et il suffit d'un �Il �tait une fois� ou �En ce temps l� pour partir en voyage dans ce pays o� r�gnaient l'harmonie et l'innocence. �Le mythe de l'�ge d'or nous permet de trouver une r�ponse � nos angoisses sur l'origine, explique Jacques Desautels. Tous les grands mythes du Proche-Orient ont �voqu� ces temps b�nits o� Dieux et humains partageaient la m�me table. Mais pourquoi a-t-on perdu cet �tat de gr�ce?�
En effet, l'ensemble des mythologies partagent un point commun, selon le conf�rencier : leurs histoires de l'�ge d'or finissent mal. Chez les Grecs, Zeus bannit les humains du royaume divin et leur envoie le mal en inventant la femme. Chez les Chr�tiens, Adam et Eve doivent fuir le paradis apr�s avoir go�t� aux fruits de l'arbre de la connaissance. Bref, les hommes ne peuvent que se souvenir de ce bonheur innocent o�, comme l'�voquent les po�tes romains, la terre donnait ses fruits et le miel et le vin coulaient � flots. �Mais dans chaque r�cit, souligne le conf�rencier, la perte du paradis est li� � un sentiment de culpabilit� et � une faute originelle.� Eve a croqu� la pomme, et les hommes ont voulu prendre une part suppl�mentaire du butin qui leur revenait lors du partage avec Zeus.
Le po�te grec H�siode, huit si�cles avant J�sus-Christ, invente m�me le mythe des races pour expliquer la mortalit� des hommes. Il �voque ainsi la race d'or, lorsque les humains comme les dieux ne connaissaient pas la mort, puis les races d'argent, de bronze, et finalement la n�tre, la race de fer. Pour Jacques Desautels, notre regret du paradis perdu et notre sentiment de culpabilit� li� � une faute obscure qui nous a s�par� des dieux constituent une source de nostalgie li�e � l'�ge d'or. Il semble donc peu plausible que les commer�ants d'aujourd'hui connaissent la signification exacte de cette appellation lorsqu'ils utilisent cette expression pour attirer une client�le d'�ge m�r. � moins qu'ils ne veuillent s�duire l'angoiss� cosmique qui sommeille en nous?
PASCALE GU�RICOLAS
Le cycle de conf�rences �Les rendez-vous Universit� Laval-Le Soleil� se d�roule un mardi sur deux � 20 h � l'auditorium du pavillon La Laurentienne. Durant le trimestre d'automne, les abonn�s pourront assister � des pr�sentations sur des sujets aussi vari�s que les accidents d'automobile, la pr�vention des maladies du coeur, la formation musicale et ses rapports avec les marchands ainsi que le bonheur publicitaire et la jeunesse.