27 octobre 1994 |
Home, sweet home
Une �tude men�e gr�ce � des �tudiants par le biologiste Jacques Bovet vient confirmer une hypoth�se d�velopp�e pour expliquer le comportemnent animal de homing, ou retour au g�te � partir d'un lieu distant.
Pauvre Petit Poucet, pauvre Hansel, pauvre Gretel, seuls, perdus dans la for�t, affam�s et grelottant de froid, incapables de trouver le chemin qui les ram�nerait vers la qui�tude de leur chaumi�re. Se perdre, quelle source d'inqui�tude pour les tout-petits. Et pour les grands. La crainte de s'�garer dans le d�dale d'une ville �trang�re o� personne ne parle notre langue, la peur d'�tre surpris sur le fleuve par un brouillard � couper au couteau, ignorant si chaque seconde qui passe nous rapproche ou nous �loigne de la terre ferme, l'angoisse de tourner en rond pendant des jours en for�t pour finalement �tre retrouv� mort de faim, de froid et de folie � cinquante m�tres d'une route, en voil� assez pour convaincre plusieurs de rester � la maison.
L'esp�ce humaine est-elle � ce point d�connect�e de la nature qu'elle est incapable de s'orienter dans l'espace? �Non, r�pond sans d�tour Jacques Bovet, professeur au D�partement de biologie et sp�cialiste du comportement animal. Les �tres humains disposent de strat�gies simples pour s'orienter dans l'espace mais ce n'est pas inn�. Les strat�gies de homing s'acqui�rent avec l'apprentissage mais la plupart d'entre nous ne les d�veloppons pas. Pour s'orienter correctement, il faut avoir une carte mentale de la r�gion o� on se trouve et �tre capable de se positionner par rapport aux points cardinaux. �
Les m�canismes sous-jacents au homing ne font pas l'unanimit� dans le monde scientifique. En effet, plusieurs chercheurs ont tent� de d�montrer que les humains, � l'instar de certains pigeons s�lectionn�s et bien entra�n�s, disposent d'un m�canisme d'orientation bas� sur la magn�to r�ception qui leur permet d'identifier correctement la direction du nord magn�tique et de rentrer au bercail. Jusqu'� maintenant cependant, les exp�riences men�es sur des sujets humains aux yeux band�s qu'on entra�ne sur des parcours complexes pour ensuite leur demander d'indiquer dans quelle direction se trouve le point de d�part, ont produit des r�sultats contradictoires. �Ces exp�riences sont calqu�es sur celles des pigeons, dit Jacques Bovet, et nous ne sommes pas des pigeons. Les informations dont on dispose au sol ne sont pas les m�mes qu'� 150 m�tres dans les airs. � mon avis, il vaut mieux appliquer sur les sujets humains le m�me mod�le d'exp�rimentation que celui utilis� pour les autres mammif�res terrestres si on esp�re �lucider les m�canismes de homing utilis�s par l'esp�ce humaine�.
Des exp�riences men�es sur des �cureuils roux par Jacques Bovet et sur diff�rents mammif�res terrestres par d'autres chercheurs ont r�v�l� que lorsque des animaux se d�pla�ent � l'ext�rieur de l'aire qu'ils fr�quentent habituellement, ils le font en utilisant des parcours rectilignes les conduisant � une destination pr�cise (aire d'hivernage ou de reproduction, site d'alimentation, etc.). �Tout se passe comme si l'animal choisissait la route la plus simple et la plus directe possible de fa�on � pouvoir revenir facilement � la maison en inversant simplement le parcours, pas n�cessairement en revenant sur ses pas comme le Petit Poucet, mais en empruntant la direction g�n�rale oppos�e, explique Jacques Bovet. Comme les informations visuelles recueillies � l'aller sont essentielles pour le retour, la derni�re chose � faire pour tester cette hypoth�se est de bander les yeux des sujets.�
Jacques Bovet a test� l' hypoth�se du parcours inverse gr�ce � la collaboration d'une centaine d'�tudiants en biologie participant � des excursions d'�cologie. Ces excursions par autobus conduisaient les �tudiants, par des routes directes, � dix sites de l'Est du Qu�bec. Avant le d�part, tous les �tudiants consentants recevaient des instructions sur les t�ches d'orientation qu'ils devaient accomplir et les exp�rimentateurs les invitaient � porter une attention particuli�re � l'orientation tout au long du parcours. Arriv�s � chacun des sites, les �tudiants devaient indiquer sur un sch�ma la direction du nord et la direction de leur point de d�part, l'Universit� Laval.
Les r�sultats, rapport�s dans le dernier num�ro de Behavioural Processes, montrent que, lorsqu'ils sont plac�s dans des conditions favorisant le recours � la strat�gie du parcours inverse, les sujets humains parviennent � identifier avec beaucoup plus de pr�cision les directions du nord et du point de d�part que dans toutes les exp�riences r�alis�es pr�c�demment avec des sujets dont les yeux �taient band�s pendant le parcours. La position du fleuve Saint-Laurent semble jouer un r�le tr�s important dans l'organisation de la carte mentale des �tudiants, selon l'analyse de Jacques Bovet.
Cette �tude constitue un des rares cas o� une hypoth�se d�velopp�e pour expliquer le comportement animal est appuy�e par l'observation du comportement humain. �Lorsqu'on observe un �cureuil roux, on ne sait pas vraiment s'il tente de retourner directement chez lui ou s'il explore les lieux pour son propre plaisir. Les �tudes de homing chez des �tres humains sont des outils efficaces pour tester et raffiner les mod�les d�velopp�s chez les animaux, tout particuli�rement quand les donn�es requises sont plus faciles � obtenir d'un humain que d'un animal sauvage.�
Jean Hamann
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