17 novembre 1994 |
�tudier Pink Floyd � l'universit�?
La formation artistique doit-elle se mettre aveugl�ment au service de la Culture of business?
Lorsqu'un professeur de musicologie, en guise de pr�lude � une conf�rence portant sur la formation musicale universitaire, fait entendre de la musique de Pink Floyd, il y de quoi fr�mir, penseront plusieurs. C'est pourtant ce qu'a fait, le 8 novembre dernier, Paul Cadrin, professeur de musicologie � l'�cole de musique de l'Universit� Laval, au moment de pr�senter le th�me de sa conf�rence: �La formation musicale doit-elle se mettre au service des marchands?� dans le cadre des �Rencontres Universit� Laval-Le Soleil�.
Ces derniers temps, le monde de l'enseignement musical a �t� passablement boulevers�: r�forme du programme de musique des c�geps, nouvelle loi sur les conservatoires, nouveau cadre de formation en musique au niveau du premier cycle � l'Universit� Laval. Paul Cadrin soutient que, bien que ces r�formes se soient produites de fa�on ind�pendante, elles refl�tent toutes une m�me pr�occupation: l'adaptation � une nouvelle r�alit�, �la mont�e fulgurante, au cours des dix derni�res ann�es, de cette culture multinationale que Marshall McLuhan avait baptis�e, dans les ann�es soixante-dix, la Culture of business.� L'id�e de Culture of business repose sur le principe que tout bien culturel n'est qu'une question d'affaires, soumis aux m�mes r�gles du march� que n'importe quel autre bien. Et Paul Cadrin demande: �La formation artistique doit-elle se mettre aveugl�ment � son service?�.
Bien s�r, la r�ponse est �non�. Cependant, l'�mergence de cette culture a donn� lieu � un ensemble de manifestations musicales reli�es � ce que Paul Cadrin d�nomme la �musique commerciale�: musique de film, vid�oclips, spectacles � grand d�ploiement (tels que ceux de Pink Floyd), etc. Face � l'omnipr�sence de cette musique, est n� un faux d�bat opposant la musique populaire et la musique dite �classique�; faux d�bat, soutient Paul Cadrin, parce que travesti par plusieurs facteurs: les oeuvres de musique �classique� entendues aujourd'hui ont fait l'objet d'un tri minutieux au cours des si�cles; les auditeurs de toute �poque ont �t� t�moins de la m�diocrit� de la grande majorit� de la musique qui s'offrait � eux; notre �poque ne fait pas exception � cette r�gle, sauf que la grande m�diatisation de la musique commerciale pose une nouveau probl�me, celui de l'imposition de l'�coute. Malgr� cela, il ne fait aucun doute qu'� travers toute cette m�diocrit� surgiront des �classiques�, qui feront l'objet de la m�me admiration future dont les grandes oeuvres des si�cles pr�c�dents font l'objet aujourd'hui.
Selon Paul Cadrin, il n'est donc pas question d'exclure la musique populaire, le jazz, ou toute autre forme de musique de l'ensemble de l'h�ritage musical dont nous sommes les b�n�ficiaires. La position qu'il prend � l'�gard de l'int�gration de la musique �commerciale� � l'int�rieur d'un programme de formation musicale refl�te bien l'esprit universitaire qui l'anime: la musique �commerciale� doit prendre place � l'int�rieur du cadre de la formation musicale universitaire, au m�me titre que la musique du Moyen-�ge, de l'�re baroque, etc. Par contre, un isolement de ce style musical, � l'int�rieur d'un programme trop sp�cialis�, pourrait �tre dommageable pour les �tudiants, souligne le musicologue. En effet, � l'instar des musiciens-accompagnateurs de films muets du d�but du si�cle qui se sont vus perdre leur emploi hautement sp�cialis� � la suite de la naissance du cin�ma parlant, les jeunes musiciens qui, aujourd'hui, ne b�n�ficieraient que d'une formation universitaire concentr�e sur un champ particulier du domaine musical (une formation de musicien de studio par exemple), se verraient v�ritablement d�sarm�s face � l'�ventualit� d'un changement de carri�re caus� par un ph�nom�ne de soci�t� hors de leur contr�le.
Paul Cadrin sugg�re donc l'application d'un principe anglo-saxon de profil g�n�ral de formation: le Comprehensive musicianship, que le conf�rencier traduit par �musicalit� polyvalente�. Ce type de formation �vise � donner � l'�tudiant un bagage de connaissances et de comp�tences � la fois pratiques et th�oriques, que celui-ci s'oriente vers l'interpr�tation, la composition, la musicologie ou l'enseignement.� Pour contrer l'ins�curit� et l'instabilit�, souvent pr�sentes dans la profession de musicien, ce dernier re�oit �des bases assez larges pour lui permettre de r�ussir dans une vari�t� de domaines et, surtout, pour �tre pr�t � se r�orienter quand un type d'activit� tombe en perte de vitesse.� Paul Cadrin croit que l'universit� constitue le milieu id�al pour l'�laboration, la structuration, l'enseignement et l'apprentissage d'un tel programme g�n�ral de formation, et ce, pour plusieurs raisons:
l'universit� est un milieu de recherche � l'int�rieur duquel peuvent �clore, non seulement des projets de recherche musicologique, ou reli�s � la composition ou � l'interpr�tation, mais aussi des projets se penchant sur de nouvelles structures p�dagogiques; l'environnement pluridisciplinaire du milieu universitaire, en plus de rendre possible une collaboration entre diff�rents d�partements, donne d�j� lieu � une socialisation de la musique; de plus, une formation universitaire est garante de qualit� et d'universalit�, puisque sujette � des �valuations p�riodiques qui permettent, entre autres, une certaine �quivalence du contenu des cours d'une institution � l'autre sur l'ensemble du territoire nord-am�ricain, et m�me outre-mer.
L'id�e est g�n�reuse et porteuse d'espoir. D'un autre c�t�, si son application devait avoir lieu � tous les niveaux de l'enseignement (c�geps, conservatoires, universit�s), il resterait bien peu de place pour l'apprentissage de champs sp�cialis�s, en dehors des programmes d'�tudes de deuxi�me et de troisi�me cycles. Partant, il faudrait peut- �tre songer � une redistribution des r�les de chacun des paliers de formation, pr�voyant ainsi le cas, par exemple, d'�tudiants de haut talent qui voudraient acqu�rir jeunes une formation de concertiste. Le d�bat est lanc�, les r�actions attendues. En attendant, je me retaperai cet album de Pink Floyd...
Serge LaCasse
Collaboration sp�ciale