17 novembre 1994 |
Au caf� des artistes
Au 937, rue Saint-Jean, � l'abri des subventions, l'ancien bourlingueur Martin Lavoie re�oit comme il aimerait �tre recu.
L'endroit �voque les bo�tes � chansons des ann�es 1960, au temps o� les probl�mes du monde se r�glaient � la lueur des chandelles au son d'airs connus et moins connus, interpr�t�s par des adolescents de cinquante ans ou des vieillards de vingt ans qui s'accrochaient � leur guitare comme le naufrag� � sa bou�e de sauvetage.
Nous sommes � �L'Espace M. Lavoie�, du nom de son propri�taire, Martin Lavoie, qui a ouvert �ce lieu libre de toute subvention� en juillet 1993 afin de donner la chance � de jeunes auteurs-compositeurs-interpr�tes de se faire entendre. �Je cherchais aussi un endroit pour chanter mes propres compositions�, avoue candidement Martin Lavoie, qui accueille tous les �artistes� qui se pr�sentent au 937, rue St-Jean - dont plusieurs �tudiants de l'Universit� Laval- les bras ouverts et l'oreille indulgente. �Je re�ois de la fa�on dont j'aimerais �tre re�u.�
Bourlinguer
Il faut dire que le ma�tre-d'oeuvre de L'Espace a fait du chemin - au sens propre - depuis cette �poque maintenant lointaine o� il �tudiait � l'�cole des arts visuels tout en grattant sa guitare aux quatre coins du campus et ailleurs � Qu�bec pour payer ses �tudes. Apr�s avoir fait les beaux jours du �Gaulois� au milieu des ann�es 1970 et enregistr� un 45- tours qui ne sera jamais distribu�, cet �ternel adolescent a bourlingu� un peu partout au Qu�bec et en Europe, vivant la vie de boh�me, tout en ne perdant jamais de vue ses premi�res amours: la sculpture.
En fait, s'il n'a pas laiss� sa marque en France o� il a tent� s'imposer en tant qu'auteur-compositeur-interpr�te, l'artiste a con�u r�cemment une murale de six m�tres sur six dans une banlieue de Paris dont il se dit assez fier. Les murs de �L'Espace� t�moignent d'ailleurs de son attirance pour cet art: ici un tableau-sculpture fait avec des vieilles cordes de guitare, l� un autre qui fait partie int�grante du mur. � l'honneur: un bras en pl�tre, vestige d'une sculpture r�alis�e sur les bancs de l'�cole des arts visuels: �O� que j'aille, il ne m'a jamais quitt�.�
Contre les �faiseux�
Assis � l'une des trentaines de tables que compte son �caf�-th��tre multi -arts�, comme il le d�finit lui-m�me, Martin Lavoie parle, dans l'ordre et dans le d�sordre, de concept, de mise en march�, d'engagement, �gratignant au passage les producteurs et les distributeurs, �ces faiseux d'artistes� qui l�vent le nez sur les chansons qui �chappent aux crit�res commerciaux. Dans cette lign�e, il d�plore le fait qu'il n'existe pas ou peu d'endroit � Qu�bec o� les jeunes auteurs-compositeurs-interpr�tes puissent se faire entendre. � son avis, L'Espace vient combler cette lacune et constitue un compromis entre la bo�te � chansons, �o� les conditions d'�coute sont d�sastreuses�, et la salle de spectacles conventionnelles, pour �vedettes consacr�es.�
En fait, une seule condition pr�vaut pour se produire en �ce lieu de cr�ation� situ� � deux pas du Carr� d'Youville: chanter ses propres compositions. �Ici, on ne chante pas les chansons des autres mais ses propres textes�, lance Marin Lavoie en d�signant d'un geste th��tral la sc�ne o� se profilent un banc et un micro.� Et on ne chante pas des chansons pour ce qu'elle rappellent mais bien parce que ce sont des chansons vivantes.� Parlant de �s�lection naturelle�, il signale que les personnes doivent �videmment faire preuve de talent et d'originalit� et surtout, chanter en fran�ais.
Mais il n'y a pas que la chanson en vedette � L'Espace; s'y d�roulent aussi des r�citals de po�sie, des lancements de livres, des d�bats, des performances, des improvisations sur une chanson, etc. Bref, la cr�ation a droit de cit� en �ce lieu d'ouverture � la parole�, dont la client�le se compose majoritairement d'�tudiants et d'�tudiantes venus respirer un autre air que celui qu'exhale la poussi�re de leurs livres. Et bien que Martin Lavoie affirme ne pas rouler sur l'or (on passe le chapeau pour payer l'artiste et la bi�re n'est pas plus ch�re qu'ailleurs), il croit dur comme fer en sa mission. �Il y tellement de choses possibles ici...�
REN�E LAROCHELLE
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