10 novembre 1994 |
JEAN-BERNARD DAMBRIN: L'ENT�TEMENT DU BRETON
Lorsque le Breton Jean-Bernard Dambrin est arriv� au Qu�bec en 1991 et qu'il a frapp� � toutes les portes pour trouver du travail, il s'est heurt� � ce qu'il appelle sans d�tour �le corporatisme qu�b�cois�. �J'aurais jur� qu'il existait un ordre professionnel ou un corps de m�tier par habitant au Qu�bec. Partout o� je m'adressais, on me r�clamait une appartenance � une de ces corporations ou des cartes de comp�tence�. Mais, � son grand dam, il a d� se rendre � l'�vidence: les dipl�mes fran�ais, et en particulier le sien, tol�rent mal la travers�e de l'Atlantique.
Pourtant, en quittant le Vieux continent, il avait apport� dans ses bagages une formation en �lectrotechnique acquise � Rennes et une respectable exp�rience de sept ann�es sur le march� du travail. Apr�s son dipl�me obtenu en 1984 et son service militaire en 1985, il avait successivement occup� des postes de technicien en maintenance d'appareils m�dicaux dans les h�pitaux de Paris et de technicien de maintenance � France 5 et � TF1. En 1990, il fondait sa propre bo�te en ing�nierie audio-t�l�visuelle et les choses allaient rondement pour lui jusqu'� ce que le holding dont il faisait partie s'effondre emportant sa petite compagnie dans sa chute. Exit sa compagnie, direction l'Am�rique.
D�barqu� � Qu�bec, une ville qu'il visitait r�guli�rement depuis de nombreuses ann�es, il se retrouve, ni ing�nieur, ni �lectricien, entre deux eaux corporatives d'o� seul un dipl�me �mis au Qu�bec pourra le tirer. Qu'� cela ne tienne, il ira le chercher, et vite, ce fameux papier qui lui permettra de rester dans son pays d'adoption, un pays qu'il d�crit comme �un excellent compromis pour un Fran�ais qui veut aller au del� de son noyau parisien puisque la culture technologique y est tr�s am�ricaine, les gens font montre d'une retenue britannique tout en ayant conserv� une �ducation et des caract�ristiques propres � la culture fran�aise�.
Au trimestre d'hiver 1992, il s'inscrit donc en g�nie �lectrique � l'Universit� Laval o�, de peine et de mis�re, apr�s avoir tordu plusieurs bras, il r�ussit � se faire reconna�tre l'�quivalent de 23 cr�dits pour sa formation d'�lectrotechnicien. �� mon avis, �a en valait une quarantaine�, dit-il, un peu amer. Mais Jean-Bernard Dambrin ne se laisse pas d�monter pour autant. Il prend les bouch�es doubles, �tudie � temps plein douze mois par ann�e, br�le ses �conomies, accumule
13 000$ de dettes en pr�ts �tudiants, mais termine ce programme de 120 cr�dits, qui exige habituellement quatre ann�es, au trimestre d'�t� 1994, soit en deux ann�es et demie � peine.
Mais, ce baccalaur�at, qui ne devait �tre qu'une formalit� dans sa d�marche pour d�nicher un emploi, a pris une dimension diff�rente au fil des mois. �Je pense que les gens qui ont �t� sur le march� du travail et qui reviennent � l'Universit� ont une approche diff�rente de la formation universitaire. On se consid�re davantage comme des clients, des partenaires. Je me per�ois comme un travailleur autonome qui fait affaire avec une entreprise de formation. Je paye pour des services et je veux en avoir pour mon argent parce que mon avenir d�pend des connaissances que j'accumule ici. �a change toute la dynamique des rapports �tudiants- professeurs.�
Jean-Bernard Dambrin ne s'est pas content� d'accumuler, peinard, les cr�dits requis pour avoir son dipl�me. �Il faut trouver, dans le syst�me, les bons professeurs qui ont la m�me vision que nous sur la formation pour retirer le maximum de nos �tudes et � partir de l�, on peut produire.� Dans son cas, il ne cache pas que le directeur du D�partement de g�nie �lectrique, Denis Angers, et le professeur Xavier Maldague ont fait basculer ce qui aurait pu �tre un baccalaur�at quelconque en exp�rience tr�s enrichissante. C'est Denis Angers qui a appuy� Jean- Bernard Dambrin et son confr�re Yvan Bourassa lorsqu'ils lui ont pr�sent� un projet tout simple qu'ils souhaitaient r�aliser dans le cadre d'un cours et qui a pris des proportions insoup�onn�es par la suite. Gr�ce � l'appui qu'ils ont re�u, leur projet de banc de per�age automatis� destin� � la fabrication de circuits imprim�s leur a permis de remporter, coup sur coup, le premier prix de la Comp�tition qu�b�coise d'ing�nierie en f�vrier 1994, le premier prix de la Comp�tition canadienne d'ing�nierie en mars 1994, puis tout r�cemment, le premier prix du concours �De l'id�e au projet� d'Entrepreneuriat Laval , accompagn� d'une bourse de 10 000$.
Alors que plusieurs voient en ces deux �tudiants les prototypes de la nouvelle g�n�ration d'ing�nieurs-entrepreneurs qu�b�cois et qu'on les imagine pr�ts � conqu�rir tous les march�s de Dolbeau jusqu'� Tokyo, Jean-Bernard Dambrin refuse d'�tre le porte-�tendard de l'entrepreneurship-sauveur-de-la-nation. �Vous savez, j'ai d�j� dirig� ma propre entreprise et ce n'est pas toujours le paradis. C'est bien beau d'�tre son propre patron mais on est souvent aussi son propre balayeur.� Bien que lui et Yvan Bourassa n'�cartent pas l'id�e de faire fructifier leur projet au sein de leur propre firme, ils ne veulent pas pr�cipiter les choses. � preuve, Jean-Bernard Dambrin vient de s'inscrire � la ma�trise en g�nie �lectrique � l'Universit� Laval. �Parce qu'il me manquait des connaissances en informatique et qu'ici, au Laboratoire de vision et syst�mes num�riques, on en mange. Aussi parce de toutes les universit�s qu�b�coises, c'est l'Universit� Laval qui offre les meilleurs programmes de transfert technologique avec les industries et c'est ce qui m'int�resse. Je travaille avec Xavier Maldague sur un projet d'imagerie, en collaboration avec l'Institut national d'optique.�
Maintenant dans la jeune trentaine, Jean-Bernard Dambrin constate que la question de l'emploi suscite une v�ritable parano�a chez ses jeunes confr�res et consoeurs. �Le march� de l'emploi ne sera plus jamais le m�me pour les ing�nieurs, c'est certain, dit-il. Il n'y a plus de t�ches qui nous attendent dans les entreprises comme autrefois. Aujourd'hui, nous nous devons d'offrir des opportunit�s de d�veloppement aux PME. Ils ne faut pas se vendre et se prostituer aux employeurs mais plut�t proposer et affirmer nos comp�tences et nos caract�res. Les �tudiants devront d�sormais tenir compte de cette nouvelle r�alit� et tirer le maximum de leurs ann�es de formation universitaire s'ils veulent �tre pr�ts � affronter le march� du travail.
JEAN HAMANN