1er d�cembre 1994 |
SECTE APPEAL
La trag�die hallucinante de l'Ordre du Temple solaire s'est produite, d'un cot� et de l'autre de l'Atlantique, dans une soci�t� o� la performance est devenue la valeur supr�me.
Pendant une petite semaine, cet automne, les Tintin d'ici et d'outre- Atlantique ont traqu� sans rel�che le moindre indice qui pourrait expliquer la trag�die de l'Ordre du temple solaire o� 53 personnes ont perdu la vie. Suicide collectif, trafic d'armes, blanchiment d'argent, d�tournement de fonds, pas un jour ne se passait sans que de nouveaux rebondissements relancent l'affaire. Puis, le calme plat. Mais les sociologues de la Facult� des sciences sociales de l'Universit� Laval ne pouvaient en rester l�. Le 22 novembre dernier, l'Association des chercheurs et chercheuses en sociologie et le D�partement de sociologie organisaient un forum sur la signification sociale de l'Ordre du temple solaire. L'occasion, �galement, de lancer le dernier num�ro d'Aspects sociologiques, la revue des �tudiants du D�partement de sociologie, qui porte ce mois-ci sur les croyances.
Les sectes dans leur si�cle
En tra�ant un rapide portrait de l'Ordre du temple solaire, de sa naissance en 1984 jusqu'� sa fin dramatique en octobre dernier, Alain Bouchard, professeur de science religieuse au C�gep de Sainte-Foy et chercheur associ� au Groupe de recherche sur les croyances des Qu�b�cois, a permis au public de replacer le mouvement �sot�rique dans son contexte. Comme dans beaucoup d'autres groupes, l'enseignement de l'Ordre du temple solaire reposait sur le pr�-requis que tout est conscience et qu'il faut unir science et tradition spirituelle. Par diff�rentes techniques ou moyens, que ce soit l'hom�opathie ou la pens�e positive, les membres pr�paraient la venue de l'�re du Verseau, charg�e de promesses. Jusqu'� ce que de graves dissenssions internes fassent voler en �clat cette savante construction.
Pourtant, selon Alain Bouchard, il faut bien se garder d'assimiler les tragiques �v�nements de Suisse ou de Morin Heights � une �nigme ou une chasse au tr�sor comparable � celle de l'�mission t�l�vis�e Fort Boyard. � l'entendre, la recherche du sensationnel a pouss� les journalistes vers la qu�te d'indices de toutes sortes qui permettent d'expliquer le ph�nom�ne sans le comprendre. Sans compter les organismes ou groupes de pression qui, selon lui, ont d�tourn� l'�v�nement � leurs fins, comme Info-sectes qui a profit� de l'occasion pour r�clamer des subventions de fonctionnement. Ou la S�curit� publique du Qu�bec qui s'est vant�e d'avoir �vit� un massacre d'une plus grande ampleur pr�vu, selon elle, pour l'an dernier. Selon Alain Bouchard, cette affaire a �galement mis en lumi�re un changement significatif dans la perception religieuse: m�me l'�glise catholique est maintenant consid�r�e comme une secte. Dans ce contexte, les sectes deviennent d'ailleurs des boucs-�missaires responsables de la plupart des maux de notre �poque.
La soif et le partage
Raymond Lemieux, professeur de sciences humaines de la religion � la Facult� de th�ologie, a cherch� pour sa part � comprendre ce qui se cache derri�re le mot secte. �Bien souvent, remarque le directeur du Groupe de recherche sur les croyances des Qu�b�cois, la recherche d'une intensit� religieuse se conjugue avec la rar�faction de ceux avec qui on peut la partager.� Selon lui, ce type de mouvement ne poursuit pas les m�mes buts que l'�glise, qui mise sur l'universalit� de son message religieux, quitte � fournir � ses membres un message plus superficiel. �D'ailleurs, rench�rit Raymond Lemieux, les �glises se sont toujours m�fi�es des lieux d'exasp�ration religieuse que sont les sectes. Au point qu'on reconnait les mystiques souvent bien longtemps apr�s leur mort.�
� ses yeux, l'appartenance � une secte implique d'aller toujours plus loin dans l'exp�rience des limites, de risquer sa vie pour lui donner un sens. Une attitude qui s'apparenterait � celle du suicide et se retrouverait surtout dans les soci�t�s o� la performance domine toutes les autres valeurs. Un peu comme dans le monde sportif qui adule les gagnants et r�duit � z�ro les perdants. Ces derniers doivent alors jouer leur vie pour lui donner une signification.
Gilles Gagn�, professeur au D�partement de sociologie et membre du Groupe de recherche sur la post-modernit�, attribue pour sa part l'existence des sectes � la recherche identitaire. Dans une soci�t� o� les groupes aux contours de plus en plus restreints prolif�rent, qu'il s'agisse des vieux, des jeunes, des femmes, des homosexuels, certains �prouvent le besoin de rassembler ces diff�rentes identit�s. Car on se d�finit pas d'une seule mani�re.
Un cocktail fatal
Les mouvements charismatiques recrutent �galement leurs fid�les parmi les individus en qu�te de sens qui ne trouvent des r�ponses � leurs questions ni dans le d�veloppement technique, ni dans celui de la science. Pourtant, selon Gilles Gagn�, les sectes commettent une erreur en niant la dogmatique n�o-lib�rale qui conditionne l'�quilibre du syst�me au progr�s. Cette attitude les oblige � se replier sur un cocktail id�ologique � forte saveur cosmologique qui risque fort bien de conduire au mysticisme. Bien des organisations �sot�riques reposent sur le charisme d'un ma�tre et sur l'obligation de d�velopper la fondation, qui d�bouchent alors sur le culte de la personnalit�. Pourtant, selon les trois invit�s du forum, il faut bien se garder d'un certain manich�isme qui conduirait � consid�rer toute croyance � laquelle on n'adh�re pas comme une superstition. Apr�s tout, il y a seulement un si�cle, on jetait des pierres � l'Arm�e du salut, consid�r�e alors comme une secte tr�s dangereuse...
PASCALE GU�RICOLAS