Une récente étude d’Oceana Canada sonne l’alarme. L’organisme environnementaliste souligne le déclin constant de plusieurs stocks de poissons et fruits de mer au pays. Cette baisse concerne aussi bien l’Atlantique que les eaux du Pacifique au large de la Colombie-Britannique. Le biologiste Jean-Sébastien Moore, spécialisé dans la faune aquatique du Nord, brosse un tableau de la situation de la pêche d’un pays qui a longtemps exporté ses poissons.
Le déclin des stocks de poissons et de fruits de mer est-il généralisé?
Non, pas vraiment. L’état de certaines espèces comme le sébaste du golfe du Saint-Laurent s’améliore, tandis que d’autres, comme la crevette nordique, déclinent. Le sébaste, par exemple, connaît une forte recrudescence depuis une dizaine d’années, après avoir été longtemps victime de surpêche. Je ne pense pas cependant que l’industrie de la pêche exploite plus cette ressource, qui a fait l’objet d’un moratoire pendant plusieurs années. D’autre part, il se peut que la recrudescence de ce poisson, un prédateur de la crevette nordique, ait des répercussions sur ce crustacé actuellement en déclin. Les changements océanographiques associés aux variations climatiques expliquent peut-être aussi la baisse des stocks. Cependant, les données manquent encore pour connaître l’état exact des réserves de poissons au Canada. Et même lorsqu’elles existent, les responsables politiques ont souvent tendance à d’abord prendre en compte les facteurs sociaux et économiques de la pêche avant d’écouter les scientifiques. Rappelez-vous le temps que le gouvernement a mis à fermer la pêche à la morue dans les années 1990 alors que les stocks déclinaient depuis plusieurs années. Cela a nui grandement à cette espèce.
Que faudrait-il faire pour mieux protéger cette ressource?
Récemment, Pêches et Océans Canada a rétabli la législation qui protège les habitats de tous les poissons, alors que le gouvernement Harper l’avait limité aux espèces exploitées économiquement. Il s’agit d’une très bonne nouvelle. Depuis l’an dernier, ce règlement permet à nouveau d’analyser l’effet des constructions de route ou de maisons en bord de rivière sur les écosystèmes. De plus, l’industrie de la pêche fait des efforts également pour limiter les prises accidentelles de poissons qui ne font pas partie de l’espèce recherchée. Des équipes de l’Université Memorial de Terre-Neuve travaillent, par exemple, sur des engins de pêche plus sélectifs, afin que les espèces dont on ne veut pas puissent s’échapper. Les chercheurs s’intéressent aussi aux technologies visant à réduire les pertes de ce type d’équipement. Même au fond de l’océan, ils continuent parfois à capturer des poissons pendant très longtemps. Par ailleurs, le Canada, comme de nombreux autres pays dans le monde, s’oriente désormais vers une approche écosystémique de gestion des pêches. Il ne s'agit pas de se concentrer sur un seul poisson, mais de recueillir aussi des données sur les autres espèces et l’écosystème aux alentours.
Que pensez-vous d’une éventuelle pêche commerciale dans l’Arctique?
Des exploitations commerciales de l’omble chevalier existent déjà au Nunavut, particulièrement à Cambridge Bay. Plusieurs communautés aimeraient pouvoir vendre leurs prises de ce salmonidé d’une qualité extraordinaire, qui a grandi dans un environnement propre. Actuellement, l’accès au marché demeure restreint, car les coûts de transport en avion sont très élevés. Ce sont surtout des restaurants de luxe à New York ou à San Francisco qui l’achètent. Les données sur les stocks de poisson disponibles manquent encore toutefois avant de pouvoir ouvrir des quotas commerciaux. Il faut aussi maintenir l’accès à cette ressource aux communautés locales. Plusieurs pêchent l’omble chevalier avec des filets maillants ou installent des barrières sur les rivières lors des montaisons. Ce type de pêche permet d’être très sélectif et de retenir seulement les poissons intéressants. Il existe aussi des élevages d’omble chevalier en bassins fermés sur la terre ferme plus au sud, en Abitibi ainsi qu’en Gaspésie. Ce genre d’aquaculture n’a aucune répercussion sur les poissons sauvages. En plus, l’omble chevalier tolère bien les températures plus froides et l’élevage à haute densité, ce qui en fait une espèce intéressante économiquement. C’est donc une alternative attrayante pour les consommateurs à la recherche de poisson à l’épicerie.