S’entendre à merveille
La formidable synergie d’une mère et de sa fille pour vaincre le mur du silence
Une jeune femme sourde de naissance, tenant précieusement dans ses mains son diplôme de baccalauréat en psychologie. À ses côtés, sa mère, radieuse, à qui l’Université Laval a rendu hommage, le 17 juin, par le biais d’une mention spéciale soulignant sa contribution exceptionnelle à la réussite de sa fille. Et pour cause: durant trois ans, Lucie Gagnon a été sur les bancs de l’École de psychologie, interprétant sans relâche l’enseignement des professeurs en langage des signes pour le bénéfice de sa fille, Rachel Filion. Du beau travail d’équipe qui a cependant demandé beaucoup d’énergie et d’effort de la part de chacune, mère et fille ressortant ainsi souvent épuisées des longues séances de cours, la première interprétant sans relâche en langage des signes toutes les explications du professeur, tandis que la seconde ne lâchait pas des yeux son interprète afin de ne pas perdre une phrase du cours.
«Ma mère m’a constamment encouragée et a toujours eu une foi indéfectible en ma capacité de réussir, explique Rachel Filion. Elle me disait toujours de ne pas lâcher dans les moments les plus difficiles. En fait, elle m’a aidée depuis ma naissance, m’enseignant la parole, la persévérance, l’autonomie, l’authenticité, la confiance en moi et en la bonté de la vie. Elle a appris le langage des signes, a suivi de cours de linguistique et de phonétique pour mieux m’aider. C’est une mère formidable!» «J’ai toujours été émerveillée des progrès que Rachel accomplissait à toutes les étapes de sa vie, affirme pour sa part Lucie Gagnon. Je savais qu’elle possédait un grand potentiel qui ne demandait qu’à s’épanouir, malgré tous les obstacles à surmonter. Je voulais lui donner des choix de vie, qu’elle ne reste pas murée dans le silence.»
La grande noirceur
En effet, Rachel ne l’a pas eu facile, obligée de composée avec la surdité, un handicap majeur, dont elle a pourtant décidé qu’il ne lui fermerait pas toutes les portes. Intégrée dès la maternelle dans une école régulière, elle a été la première enfant sourde de sa commission scolaire, avec tout ce que cette situation comporte de difficultés et de renoncements. Au secondaire, ce sera la grande noirceur, les ados rejetant cette fille un peu étrange qui n’est pas de leur monde. Mais Rachel est forte, ses notes sont excellentes et elle arrive au cégep avec tous ses morceaux, s’inscrivant en sciences de la nature. À l’Université, elle opte pour la psychologie, une choix dont elle se félicite, tant elle se passionne pour cette discipline.
«Les seules difficultés que j’ai connues à l’Université au cours de mon baccalauréat et qui ne sont pas celles de tous les étudiants concernent les conversations de groupe, ce qui complique généralement les rencontres d’équipe, souligne la jeune diplômée, qui lit sur les lèvres. Je choisis donc des personnes que je comprends bien afin de ne pas me sentir obligée de toujours demander un interprète. Suivre un cours demande aussi beaucoup d’effort mentalement et visuellement, notamment à cause des mots qui se ressemblent comme "bain", "pain", "main". Après trois heures, je ressens souvent le besoin de dormir.»
L’avenir se dessine plutôt bien pour Rachel Filion qui compte poursuivre des études supérieures en psychologie, après une année sabbatique au cours de laquelle elle agira comme intervenante en santé mentale. Depuis quelques semaines et durant tout l’été, la jeune femme est guide-animatrice au Parc de l’Artillerie, à Québec, participant à un projet-pilote où on offre pour la première fois au Canada des visites guidées en langue signée québécoise (LSQ) et en American Sign Language (ASL). «J’aime ce travail car cela m’ouvre des portes vers des cultures différentes, en plus de servir de modèles pour les personnes sourdes, explique-t-elle. Il y en a si peu qui réussissent à se rendre au cégep et encore moins à l’Université. C’est ma contribution à moi.»
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