
Autant en emporte le vent Des chercheurs évaluent la résistance mécanique des arbres afin de mieux prévenir les chablis Il y avait L'homme qui plantait des arbres. Voici maintenant ce qui pourrait s'intituler Les chercheurs qui déracinaient des conifères. On serait porté à croire que le scénario de ces deux histoires s'oppose comme le bien et le mal, mais il n'en est rien. Si Jean-Gabriel Élie et Jean-Claude Ruel, du Département des sciences du bois et de la forêt, arrachent littéralement des arbres, c'est pour mieux comprendre ce qu'il faut faire pour que tous les autres autour restent bien debout.
Dans une récente édition du Canadian Journal of Forest Research, les deux chercheurs rapportent les résultats d'une étude sur les chablis qu'ils ont menée en forêt boréale dans la région de La Tuque. Les chablis sont des chutes naturelles d'arbres qui surviennent le plus souvent sous l'action du vent. "Contrairement aux épidémies d'insectes ou aux maladies des arbres, il n'existe pas de données fiables sur l'incidence des chablis dans les forêts québécoises, signale Jean-Claude Ruel. Les gens qui travaillent en forêt nous disent que c'est relativement commun, mais seulement les chablis catastrophiques sur des grandes superficies sont signalés."
Jean-Claude Ruel tente de mieux documenter la vulnérabilité de différents peuplements forestiers aux chablis en adaptant pour le Québec le modèle ForestGALES élaboré en Grande-Bretagne. L'une des variables essentielles de ce modèle est la résistance mécanique des arbres. Pour les besoins de la science, le professeur Ruel et Jean-Gabriel Élie se sont donc substitués aux éléments en déracinant 55 épinettes noires et 30 pins gris. Pour arriver à simuler un chablis, ils accrochent un câble à mi-hauteur de l'arbre et, à l'aide d'un treuil, ils exercent une force jusqu'à ce qu'il se rompe ou se déracine, établissant du coup la force maximale à laquelle il peut résister. "Ça ne colle pas parfaitement à ce qui se passe lors d'un vrai chablis, mais c'est ce qui s'en approche le plus", estime Jean-Claude Ruel.
Ce fracassant protocole a livré plusieurs renseignements utiles aux chercheurs. D'abord, contrairement à l'épinette noire, le pin gris s'est révélé plus fragile en terrain pierreux. "Les espèces ne s'enracinent pas toutes de la même façon, explique le chercheur. Les racines du pin gris ont tendance à aller en profondeur alors que celles de l'épinette noire se développent en surface." Les chercheurs ont aussi découvert que la présence de pin gris dans un peuplement abaisse d'environ 17 % la résistance de l'épinette noire. "Ces deux espèces se trouvent naturellement dans les mêmes peuplements après feu et nos données indiquent que cette association diminue la résistance de l'épinette au chablis", souligne-t-il. Enfin, leurs données révèlent que les jeunes et les vieux arbres sont plus vulnérables aux chablis que les arbres âgés entre 50 et 140 ans.
Ces informations sont précieuses pour adapter le modèle ForestGALES aux conditions québécoises et ainsi assurer une meilleure gestion des forêts, poursuit le professeur Ruel. "Elles peuvent nous indiquer quelles espèces il est préférable de conserver lors des éclaircies pré-commerciales ou encore orienter les stratégies de récolte de façon à réduire les risques de chablis." 
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