
Tintin au pays des images plates Hergé a su donner de la profondeur à sa célèbre "ligne claire" par Renée Larochelle Saviez-vous que, dans l'une des cases de l'album des aventures de Tintin intitulé Le Sceptre d'Ottokar, Hergé (1907-1983), créateur du célèbre reporter, figure au nombre des dignitaires venus accueillir Tintin, à qui le roi de Syldavie remettra une médaille pour services rendus à la nation? En se mettant lui-même en scène dans un de ses "tableaux", Hergé agit de la même façon que certains peintres qui décident de s'immortaliser en peignant leur image sur la toile. Il n'y a là rien de bien surprenant parce le modèle premier d'Hergé était la peinture, un art pour lequel il avait beaucoup d'admiration. Dessinateur de génie, Hergé aura pourtant fait de la bande dessinée la grande affaire de sa vie. Son oeuvre contient cependant quelques allusions à sa vocation de peintre "manqué", comme ces "tableaux crevés" d'où sort la tête d'un personnage.
Ce sont ces choses aussi amusantes qu'intéressantes qu'a révélées Pierre Fresnault- Deruelle, professeur de sémiologie à l'Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), lors d'une conférence ayant pour titre "Hergé ou la profondeur des images plates". Invité par le Centre d'études sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones en Amérique du Nord (CÉLAT), le 9 février, Pierre Fresnault-Deruelle a avoué qu'il s'intéressait depuis des décennies au héros créé par Hergé en 1923.
"L'univers de Tintin est truffé de passages secrets, de souterrains, de couloirs et de grottes où le lecteur se perd avec délices, comme dans un musée, a-t-il expliqué. En quête d'un trésor caché ou à la recherche d'une personne disparue, les héros dévalent des escaliers, enfoncent des portes, se heurtent à des murs, soulèvent des dalles et courent dans tous les sens. Pour Hergé, les contraintes techniques deviennent des éléments pour créer. Comme artiste, il possède cette capacité de mêler le vraisemblable et l'invraisemblable sans qu'il y ait un sentiment d'incongruité." Selon Pierre Fresnault-Deruelle, une case résume à elle seule tout le génie d'Hergé. On la retrouve dans l'album Le Temple du Soleil, où, dans un ballet de portes tournantes, Tintin n'a que le temps de "pousser" la porte de la case-cabine pour laisser "entrer" son agresseur, dont on n'aperçoit qu'un bras. Ce chassé-croisé inventif, où le héros retourne dans le noir pour que soit mis en lumière un autre personnage, serait un condensé de tout l'art de la bande dessinée, qui repose sur cet incessant truchement entre celui qui sort de scène et celui qui y entre. Mais ces petits chefs-d'oeuvre ne doivent pas faire oublier qu'Hergé voit parfois très grand. Toujours dans Le Temple du Soleil, le dessinateur n'hésite pas à utiliser une demi-page pour illustrer l'entrée spectaculaire de Tintin, du Capitaine Haddock, de Milou et du petit indien Quirino dans ce fameux temple inca réservé aux initiés.
Avec 200 millions d'albums vendus à travers le monde, Hergé aura fait voyager des générations de 7 à 77 ans. Malheureusement, la popularité de Tintin est en perte de vitesse depuis quelques années, a souligné Pierre Fresnault-Duruelle. "Les jeunes sont tombés dans la soupe électronique et Tintin les intéresse moins. Une chose est certaine: Hergé va devenir un classique, comme Jules Verne. Car des bandes dessinées de ce calibre, il n'en existe pas beaucoup." 
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