Une histoire de caractères
La typographie racontée par Jadette
Laliberté, enseignante en arts visuels
par Thierry Bissonnette
La démocratisation du traitement de texte a multiplié
la masse de gens en contact régulier avec la variété
des polices de caractères. Qui n'a pas, pour un travail
ou une thèse, jonglé entre le Times, le Courier,
le New York ou le Palatino? Pourtant, en dehors des professionnels
et de quelques écrivains lettristes, bien peu de gens
développent leur sensibilité aux différentes
caractéristiques graphiques des lettres. Grâce à
un ouvrage récent, tous pourront s'initier d'une nouvelle
façon à l'histoire et à la pratique de la
typographie: avec le manuel Formes typographiques (Presses
de l'Université Laval), Jadette Laliberté décrit
de façon élégante et précise cette
pratique à mi-chemin entre les arts graphiques et l'imprimerie,
en survolant pour ce faire une période de plus de cinq
cents ans.
L'auteur, diplômée de l'École nationale supérieure
des Arts décoratifs de Paris, enseigne les arts visuels
à l'Université Laval depuis maintenant vingt-deux
ans. Elle est donc en mesure de vulgariser la typographie sans
négliger l'ampleur de ce champ. Et dès qu'on tient
l'ouvrage entre les mains, dès qu'on y porte son regard,
on sent le soin tout particulier apporté à sa conception
graphique. C'est en fait Jadette Laliberté elle-même
qui, dans un authentique geste de théoricienne matérialiste,
a réalisé la mise en pages et la maquette de couverture.
Bien que divisé en trois chapitres (respectivement consacrés
à l'historique, l'anatomie et la classification des formes
typographiques), l'ouvrage est configuré comme une petite
encyclopédie, avec de courtes rubriques exemplifiées
par des reproductions diverses. L'oeil et l'esprit sont ainsi
guidés de concert dans un voyage qui devrait fasciner
quiconque utilise un traitement de texte. Car même les
caractères les plus couramment utilisés sont ici
une source d'étonnement, tel ce fameux Times New Roman
achevé en 1932 par Stanley Morison. Quelques années
plus tôt, ce dernier s'était vu confier la recherche
d'une typographie qui combine une économie d'espace avec
un maximum de lisibilité, ce dont le Times New Roman -
désormais omniprésent - figure une synthèse
originale. Dessinée par Victor Lardent pour Morison, la
dite invention est cependant contestée, puisqu'un spécialiste
a posé l'hypothèse d'une copie à partir
du Lanston 54!
Alors que la partie historique occupe la plus grande partie du
manuel, la seconde partie (anatomie) permet de décomposer
les différents éléments de la lettre. En
quelques pages à peine, le lecteur se retrouvera en possession
d'un regard plus aiguisé pour observer la structure et
l'élégance du langage typographié. Enfin,
la troisième partie montre une façon de classer
la variété des caractères conçus
depuis le XVe siècle. Le tout est chapeauté par
un indispensable lexique permettant de s'y démêler
parmi ces hastes, ces hampes et ces jambes, ces lignes de pied
et ces lettres ligaturées... En à peine une centaine
de pages, Laliberté vient de nous fournir une admirable
porte d'entrée vers une réalité pourtant
si quotidienne.
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