
Les dilemmes québécois
Guy Laforest publie un livre-bilan alors que
prend fin son mandat de président de l'ADQ
par Pascale Guéricolas
L'histoire bégaie, aurait pu dire Guy Laforest alors
qu'il travaillait à rassembler les textes politiques et
constitutionnels qui constituent l'essentiel de son ouvrage Pour
la liberté d'une société distincte. Parcours
d'un intellectuel engagé, publié la semaine
dernière aux Presses de l'Université Laval. En
effet, en relisant ses articles sur l'échec de l'accord
du Lac Meech, l'après référendum de 1995,
le fédéralisme canadien, parus tout au long de
la dernière décennie, une grande constante a soudain
sauté aux yeux de leur auteur. À l'entendre, le
Québec oscille continuellement depuis le 18e siècle
entre un désir d'élargissement de sa liberté
politique et une quête de sécurité et de
distinction identitaire.
Après le souverainisme de l'impuissance
et l'autonomisme défensif, place à l'autonomisme
offensif
Selon Guy Laforest, cette tendance traverse les discours des
Patriotes en 1837 et 1838 et les débats parlementaires
sur la Confédération en 1865, tout comme on la
retrouve à travers les différentes positions adoptées
par Bourassa, Groulx, Lapalme et Laurendeau tout au long du siècle
tout juste écoulé. "Bien sûr, les êtres
humains sont libres et l'histoire est ouverte, remarque Guy Laforest,
mais on ne réinvente pas la structure de fond de la société
dans laquelle on vit." Le politologue considère ainsi
que si le Parti québécois a fait beaucoup de gains
en matière de défense de l'identité québécoise,
notamment avec la Loi 101, ses résultats en matière
de liberté politique seraient beaucoup plus mitigés.
"Le PQ ne s'est pas doté d'une constitution pour
transformer, par exemple, le Québec en république,
explique-t-il. Pour moi, c'est le souverainisme de l'impuissance."
De son côté, le Parti libéral du Québec
pratiquerait, à l'entendre, un "autonomisme défensif",
qui aurait permis à Robert Bourassa d'obtenir que les
élus québécois occupent toujours un quart
des sièges à la Chambre des communes, même
si le poids démographique de la province décline
au sein de la confédération.
Et l'ADQ dans tout ça? Selon son ancien président,
ce parti incarne l'autonomisme offensif. Ainsi, le projet de
doter le Québec d'une constitution interne sans en demander
la permission à Ottawa permettrait, selon le politologue,
de lui donner enfin une épine dorsale afin notamment de
pouvoir occuper une plus grande place dans le monde. En discussion
au sein du parti depuis 2001, cette proposition a finalement
été votée par les membres lors du dernier
congrès en septembre dernier, ce qui a donné de
sérieuses leçons de modestie à Guy Laforest.
"Comme professeur, j'avais sous-estimé les difficultés
opérationnelles pour passer de la théorie à
l'application dans le programme", dit-il. Toujours membre
de l'ADQ, Guy Laforest reste très discret dans son livre
sur les crises internes qu'il a dû affronter en présidant
les destinées d'un mouvement politique somme toute assez
hétéroclite. Dénonçant la dérive
libertaire qui pousse certains membres de l'ADQ à réclamer
toujours moins d'État, tout comme le courant populiste
qui porte le parti, cet adéquiste convaincu explique qu'il
a tenté d'incarner le conservatisme éclairé
. "Le plus grand danger en politique, c'est le triomphe
de l'esprit doctrinaire", conclut-il.
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