Saint-Roch: une renaissance originale
C'est la démocratie participative qui
a déclenché le développement de ce quartier
en déclin
À Québec, l'urbanisme du quartier Saint-Roch
constitue un cas de choix à étudier pour un chercheur
en géographie. Symbole par excellence du déclin
d'un centre-ville commerçant et industriel jusqu'au début
des années 1990, le "cas Saint-Roch" constitue
aujourd'hui un exemple bien connu au pays de revalorisation d'un
quartier. Dans un article publié récemment par
le Canadian Journal of Urban Research, Guy Mercier, professeur
au Département de géographie, se penche sur cette
renaissance marquée par un véritable retournement
de l'action des urbanistes.
Pour le chercheur, le changement d'attitude des autorités
envers le développement de Saint-Roch ressemble un peu
à un gant qu'on retourne. Jusqu'aux années 1990,
les urbanistes et les politiciens, convaincus de détenir
la vérité suprême, misent sur une politique
de grands travaux pour redonner au quartier sa fonction commerçante
d'antan, qu'il s'agisse de bâtir l'autoroute Dufferin-Montmorency
ou un immense complexe d'affaires qui n'a d'ailleurs jamais vu
le jour. Cette politique ne donne pas les effets escomptés,
des mouvements populaires s'opposent aux projets immobiliers
et le quartier ne cesse de décliner. Coup de théâtre
en 1989, avec l'élection du Rassemblement populaire dirigé
par Jean-Paul L'Allier. Le nouveau maire fait table rase du passé,
constate l'échec des urbanistes et décide d'écouter
la population.
"Jean-Paul L'Allier a compris que l'urbanisme devait se
doter d'une légitimité démocratique",
explique Guy Mercier. Dès lors, la nouvelle équipe
au pouvoir met l'accent sur la politique de consultation populaire,
et insiste pour développer le quartier à partir
du patrimoine déjà bâti, de son histoire,
et non plus en y parachutant de grandes structures. L'Université
Laval participe d'ailleurs fortement à ce processus en
y déménageant son École des arts des arts
visuels dans l'Édifice La fabrique, une ancienne usine
de la Dominion Corset tout juste reconvertie. D'autres réalisations
suivent, comme la construction du jardin Saint-Roch, un des principaux
symboles du changement de vision des autorités municipales
selon Guy Mercier.
Un fameux "trou" à combler
"Un complexe commercial devait s'installer à
cet emplacement, mais les opposants au projet le présentaient
comme une menace à la qualité de vie des citoyens,
rappelle Guy Mercier. L'implantation d'un jardin - du vide et
non du plein - démontre la nouvelle volonté de
l'équipe en place." Salué pour ses qualités
esthétiques, ce même jardin illustre aussi les tiraillements
que suscite le développement du quartier. En effet, nombre
d'organismes communautaires déplorent son manque de convivialité,
alors que l'Îlot Fleurie, un terrain aménagé
à l'initiative de citoyens juste à côté,
attirait les habitants du quartier depuis 1993 et jouait un rôle
de réinsertion sociale. Paradoxalement, le nouvel essor
du quartier a forcé le déménagement de l'Îlot
Fleurie, car plusieurs bâtiments de prestige, notamment
celui de l'École nationale d'administration publique (ÉNAP),
et bientôt celui de l'INRS, se sont implantés en
bordure du jardin Saint-Roch.
Le bouillonnement immobilier en cours a, bien entendu, des conséquences
sur la composition du quartier. Ses habitants de longue date
ont de la difficulté à reconnaître leur coin
de rue et s'y sentent de plus en plus étrangers, tandis
que les nouveaux arrivants, attirés par l'aspect novateur
de Saint-Roch, soutiennent les projets de développement.
L'enlèvement du toit du mail Saint-Roch illustre bien
les tensions entre les deux groupes.
De son côté, la Ville a beau défendre en
théorie la valorisation du patrimoine immobilier, il lui
faut attirer des promoteurs qui construiront des bâtiments
dans les espaces vacants afin de percevoir des taxes foncières
intéressantes. Pour mieux développer Saint-Roch,
il faut donc parfois raser des maisons qui justement justifient
le déménagement vers des rues chargées d'histoire.
"L'urbanisme d'aujourd'hui relève des techniques
de régulation de l'opinion publique, constate Guy Mercier,
car la manière de présenter les projets est de
plus en plus importante. Les services d'urbanisme engagent maintenant
des spécialistes en relations publiques pour mieux faire
passer le message."
Plus que jamais, la constitution d'une identité de quartier
participe donc à la revitalisation de Saint-Roch, aux
allures encore de laboratoire. Son avenir dépend en effet
en bonne partie de la volonté de ses habitants, adeptes
d'une approche communautaire ou partisans d'un urbanisme de prestige.
PASCALE GUÉRICOLAS
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