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24 février 2000 ![]() |
Quoi de plus facile que d'imaginer la vie des habitants d'un quartier en jetant un coup par les fenêtres illuminées, le soir? Tiens, celui-là, bien installé dans sa demeure historique de la rue des Remparts, dans le Vieux-Québec, doit passer sa fin de semaine à chercher une penture d'époque. Le genre de considération qui ne doit pas passionner ce vieux résident de Duberger, un banlieusard encroûté dans son quartier... En fait, ces réflexions passent totalement à côté de la vérité, si l'on en croit deux jeunes chercheurs du Centre de recherche en aménagement et en développement (CRAD) qui présentaient leurs travaux lors d'un colloque étudiant organisé récemment. | ![]() |
"C'est vrai, au début j'avais des préjugés sur le Vieux-Québec", reconnaît volontiers Salomon Gonzàlez-Arrellano, qui effectue une maîtrise en architecture. Je pensais que ce quartier n'était pas vraiment habitable et que ses habitants allaient surtout me parler du manque de stationnements." Pour mieux comprendre les liens entre les valeurs patrimoniales et la perception de leur foyer, l'étudiant a procédé à une vingtaine d'entrevues en profondeur avec des résidents de ce quartier historique. À chacun, il a demandé de classer des photos de maisons du Vieux-Québec, et de lui fournir une description de ses déplacements dans la journée.
Même si tous les renseignements recueillis n'ont pas encore livré tous leurs secrets, Salomon Gonzalez-Arrellano a déjà pu tirer quelques pistes de réflexion de ses rencontres. Il a ainsi constaté que le discours patrimonial des résidents diffère de celui des architectes, des urbanistes ou des spécialistes du patrimoine. En fait, ceux qui habitent le Vieux-Québec insistent d'abord sur l'aspect convivial du quartier, sur la richesse de son environnement, avant de souligner leur intérêt pour l'esthétique. L'amour de l'esthétisme paraît surtout élevé chez les gens qui ne sont que de passage.
Des relations de proximité
"Le réseau social qu'entretiennent les habitants
du Vieux-Québec m'a beaucoup impressionné, souligne
Salomon Gonzalez-Arrellano. En particulier celui des gens plus
âgés qui ont vécu là une bonne partie
de leur vie." Ainsi, même s'ils déploient beaucoup
d'efforts pour retrouver les éléments décoratifs
d'origine de leur foyer, en décapant des moulures ou en
dégageant des murs de pierre, les résidents s'intéressent
aussi beaucoup à la composition de la population de ces
quelques rues historiques. Plusieurs ont par exemple fait part
au chercheur de leurs regrets de ne pas rencontrer davantage d'enfants
dans ce quartier qui ne compte plus d'école publique.
Pour sa part, Thierry Ramadier a rencontré beaucoup plus de jeunes lors de son enquête qui portait sur les habitants d'une banlieue de Québec, Duberger, qui s'est développée dans les années 1950 et 1960. Cet étudiant, détenteur d'un doctorat en psychologie sociale, s'intéressait plus particulièrement à la perception qu'ont résidents de Duberger des déplacements qu'ils effectuent fréquemment. Il s'agissait également de vérifier si, comme dans les années 1970, les trajets quotidiens avaient toujours le centre-ville comme destination.
Contrairement à ce qu'il supposait au départ, Thierry Ramadier a découvert, au fil de ses rencontres, que les premiers habitants de cette banlieue tranquille, maintenant souvent des retraités, se déplaçent tout autant que ceux de la deuxième génération qui, généralement, travaillent. Plus étonnant encore, les plus âgés ont tendance à parcourir de nombreux kilomètres pour faire leurs courses, tandis que les gens plus jeunes ont recours aux épiceries de proximité. L'espace de quelques entrevues, l'image du retraité replié sur son bungalow et son coin de rue a donc volé en éclats, d'autant plus que les résidents plus âgés ont fait part au chercheur de leur plaisir à se déplacer.
Un quartier désormais central
En interrogeant les uns et les autres, Thierry Ramadier a
constaté également que la conception de l'agglomération
évolue selon les générations. Ainsi, si les
pionniers installés à Duberger dans les années
1960 insistent sur la tranquillité que leur procure leur
éloignement du centre-ville, les habitants plus jeunes
considèrent leur quartier comme central, puisqu'il se trouve
à la conjonction de plusieurs axes routiers. Il leur arrive
donc fréquemment de se rendre à Valcartier, à
Saint-Augustin, ou même au centre-ville de Québec
pour des loisirs ou pour rencontrer des amis, alors que les plus
âgés se concentrent sur Duberger pour ce genre d'activités.
"Il faut tenir compte des différents types de rapport à l'espace pour pouvoir requalifier ces banlieues", souligne ce stagiaire au post-doctorat à l'École d'architecture. Le psychologue en lui apprécie d'ailleurs l'apport que représente pour lui l'échange de données entre chercheurs de plusieurs disciplines, puisque le Centre de recherche en aménagement et en développement regroupe aussi bien des géographes, des urbanistes, des architectes, que des sociologues.
Les questions posées par ses collègues à
propos de sa recherche lors du colloque devraient maintenant lui
permettre de mieux conjuguer l'approche psychologique et urbanistique.
Salomon Gonzalez-Arrelano a, lui aussi, apprécié
sa présentation, qui constitue pour lui un bon exercice
avant sa communication devant les chercheurs de l'Association
canadienne française pour l'avancement des sciences (ACFAS),
dont le congrès se déroulera au printemps prochain.
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