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20 janvier 2000 ![]() |
Avant 1945, les bouleaux gris étaient à peine plus abondants que les cactus dans l'Est du Québec. Cinquante ans plus tard, cet arbre fait maintenant partie du paysage du Bas-Saint-Laurent, formant même des peuplements de plusieurs centaines de spécimens par endroit. En fait, le bouleau gris migre présentement à une vitesse de 200 km par siècle dans cette région, viennent d'estimer les chercheurs Claude Lavoie et Annie Saint-Louis, du Département d'aménagement et du Centre de recherche en aménagement et développement. En guise de comparaison, lors de la dernière grande époque de migration des arbres, qui s'est produite après la fonte des glaciers, entre 18 000 et 6 000 ans avant aujourd'hui, la reconquête du territoire par les arbres s'est déroulée à une vitesse de 10 à 300 km/siècle. Afin d'identifier les causes de la migration rapide du "Bruny Surin des arbres québécois", les deux chercheurs ont tenté de reconstituer l'histoire récente de la progression du bouleau gris dans l'Est du Québec. |
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Pour y arriver, ils ont patiemment fouillé 24 herbiers du Québec, de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick et des États-Unis, à la recherche des premiers spécimens observés. Ils sont ensuite partis sur le terrain, entre Rivière-Ouelle et Matane, à la recherche des plus vieux spécimens dont ils ont pu établir la date d'arrivée dans la région (l'année de leur naissance) par l'étude des anneaux de croissance.
Le fruit de leur enquête, publié dans un récent numéro du Canadian Journal of Botany, révèle qu'au Québec les premiers bouleaux gris ont été signalés à Nicolet, à Montréal et à Québec en 1864, 1874 et 1905 respectivement. La première étude faisant état de la présence de bouleaux gris dans le Bas-Saint-Laurent, réalisée par le professeur Robert Gauthier du Département de phytologie, date de 1965. "La migration rapide du bouleau gris est surtout survenue dans les trois dernières décennies", résume Claude Lavoie.
Les relevés effectués sur le terrain par les chercheurs Lavoie et Saint-Louis indiquent que seulement 11 % des champs agricoles abandonnés - pourtant l'habitat de prédilection du bouleau gris - abritent cette espèce dans l'aire d'étude. Par contre, les sept tourbières exploitées entre Rivière-Ouelle et l'Isle Verte sont toutes colonisées par le bouleau gris; les cinq tourbières situées plus à l'est n'abritent aucun bouleau pour l'instant. "Je crois que ce n'est qu'une question de temps avant que les bouleaux s'y installent, estime Claude Lavoie. Mais le bouleau gris ne dépassera probablement pas Matane parce que c'est là qu'on trouve le dernier grand site tourbeux de l'Est du Québec."
Niche spéciale
Les tourbières exploitées ou abandonnées
constituent des niches écologiques spéciales, qui
n'existent pas en nature sans intervention humaine, commente le
chercheur. Ce sont des milieux secs, acides, pauvres en éléments
minéraux et très susceptibles à l'érosion.
"Le bouleau est une espèce opportuniste qui a la "couenne"
dure. Peu de plantes réussissent à pousser dans
de telles conditions, de sorte qu'il y a peu de compétition
pour le bouleau gris", poursuit-il.
La migration rapide du bouleau gris s'expliquerait donc par la présence de ces nouvelles niches écologiques et par le fait que ses graines sont petites et peuvent voyager sur des grandes distances, surtout lorsqu'elles sont libérées pendant l'hiver et qu'elles sont poussées par le vent sur les plaines agricoles enneigées. "Comme les tourbières couvrent de grandes superficies, ce n'est qu'une question de probabilité pour que, sur la multitude des graines produites, il y en ait une qui finisse par tomber sur un lieu propice à la colonisation."
Des conséquences pour l'industrie
L'expansion du bouleau gris pourrait poser un problème
aux exploitants de tourbe puisque les invasions massives de bouleaux
gris dans les tourbières pourraient retarder leur retour
à l'état naturel, prévient le chercheur.
"Lorsque les bouleaux atteignent des densités élevées,
comme on le voit dans les tourbières de la région
de Drummondville, ça assèche le milieu, ce qui favorise
l'arrivée d'espèces qui n'ont rien à voir
avec les tourbières. Le processus de restauration peut
être retardé de 50 ans."
Les chercheurs ont d'ailleurs émis des recommandations, destinées aux représentants de l'industrie, touchant le mode d'exploitation des tourbières et leur restauration. Ces recommandations visent à limiter l'envahissement par le bouleau gris et à favoriser le retour rapide de la sphaigne dans ces milieux.
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