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9 décembre 1999 ![]() |
LETTRE OUVERTE
Monsieur François Tavenas, recteur
Mesdames et messieurs les Membres du Conseil universitaire
Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil d'administration
Université Laval
Réf. : l'affaire Mansour devant le comité de discipline
Monsieur le Recteur, Mesdames, Messieurs,
Les faits relatés dans le communiqué du Secrétaire général, André C. Côté, paru dans Impact-Campus (numéro du 30 novembre au 6 décembre, p. 9), sont erronés. C'est en tant que témoin des événements du 13 octobre que j'affirme cela.
J'affirme encore, en tant que témoin de cette portion de l'audition où je témoignais, que le fonctionnement de l'audience était contraire au lois du pays et que le comportement de la Présidente, Madame Paule Halley, était inéquitable.
Je souhaite que ce bref témoignage vous convainque de la nécessité de rendre publics les enregistrements de l'audience et de tenir une enquête publique et indépendante; l'honneur de l'Université exige que toute la lumière soit faite sur ces événements.
TOUTE EXISTENCE MÉRITE D'ÊTRE RECONDUITE
Le 27 octobre dernier, une quarantaine de personnes, d'origine
multiethnique, répondaient à l'invitation lancée
par la section francophone d'Amnistie Internationale du Québec-Métro
pour participer à un échange sur la peine de mort.
La réunion eut lieu au Café Tassili et emprunta
au rituel des café philosophiques sa procédure.
Il s'est agi d'une première nord-américaine dans
l'histoire du mouvement amnistien.
Le Canada est devenu en 1976 un pays abolitionniste, soit depuis
près d'un quart de siècle. Cette position éradicative
fut ratifiée en 1987 par un nouveau vote du Parlement.
Il est navrant de constater que, malgré la réputation
de tolérance acquise par notre pays durant cette période,
plusieurs citoyens continuent de ressentir des sentiments nostalgiques
en souhaitant le rétablissement de la peine capitale. Depuis
la prise de position du Parlement canadien en 1976, les sondages
d'opinion publique se sont, majoritairement, montrés favorables
au retour du châtiment suprême dans un pourcentage
excédent 70%.
Plusieurs néo-canadiens semblent transporter les murs rigides
de leurs pays d'origine sans avoir réalisé la portée
des votes humanistes des années 1976 et 1987. Mais lors
de la discussion, il y avait, également, des québécois
de souche affichant une attitude répressive sous prétexte
qu'il fallait ressusciter de toute urgence " la loi anachronique
du talion " à la recherche d'un bénéfice
illusoire d'exemplarité.
Le divorce entre une loi à caractère abrogatif laquelle
n'a pas été depuis rappelée et une opinion
publique, qui la désavoue à intervalles réguliers
dans l'expression de sondages, peut s'expliquer par le fait que
la suppression au Canada de la peine de mort s'est trouvée
l'initiative d'une minorité d'intellectuels de gauche,
associé à l'époque à l'ex Premier-Ministre
Pierre-Elliot Trudeau et favorable avec la mesure progressiste
que le leader de la Chambre d'alors préconisait.
Les électeurs ont été, insuffisamment, informés
de cette approche pénologique et n'ont jamais été
appelés à ratifier ce projet de loi. Les députés
votaient selon leur conscience et il est difficile d'évaluer
dans quelle mesure ils ont consulté leurs commettants avant
de prendre position. En France la législation, sur l'abolition
de la guillotine, a été retardée jusqu'au
9 octobre 1981 pour permettre à l'ensemble de la nation
française de suffisamment s'instruire des bienfaits de
la mesure. En Angleterre, la peine de mort a été
supprimée en 1970, mais seulement après un long
débat de société échelonné
sur une quinzaine d'années.
Il faut mentionner que la crainte ressentie par la population
à l'endroit de criminels violents et le scepticisme discutable
qu'elle ressent à l'endroit de l'administration de la justice
pour les neutraliser, sont susceptibles d'éclairer le pourcentage
élevé qu'on retrouvait jusqu'à tout récemment
au pays lors des consultations d'opinion publique.
Après le sursis d'exécution octroyé au canadien
Stanley Faulder au Texas le 10 décembre 1998, une firme
ontarienne avait effectué un sondage au Canada sur la peine
de mort. Pour la première fois depuis l'abolition de la
peine capitale en 1976, les résultats de cette consultation
révélaient que les partisans de la peine de mort
et les abolitionnistes se retrouvaient à égalité
dans une proportion de 47% et que pour le Québec, le pourcentage
pour le maintien de la révocation de la peine de mort s'était
haussé à 53%.
La tentation est grande d'interpréter ce sondage spécifique
comme la résultante de la publicité qui a entouré
l'agonie de Faulder et la vague de sympathie qu'elle avait au
pays suscitée. Les prochains sondages devraient nous indiquer
si nous sommes en présence d'une nouvelle mentalité
progressiste de l'opinion canadienne eu égard à
la peine de mort.
Au Café Tassili, des abolitionnistes et des rétentionnistes,
malgré des échanges intéressants, se sont
croisés sans apparemment s'influencer comme si au départ
leurs convictions réciproques étaient si ancrées
qu'elles interdisaient à l'avance toute croissance mutuelle
au point que même la notion d'abolitionnisme conditionnelle
ne fut même pas prononcée à la recherche d'un
rapprochement. L'abolitionniste inconditionnel ne se contente
pas d'approfondir sa motivation par une relecture de la pensée
camusienne sur la peine de mort si moderne soit-elle ou d'assimiler
des statistiques, si significatives puissent-elles être,
sur l'état de cette sanction irréversible dans le
monde. Ses réactions d'immense tristesse devant des exécutions
comme celle de Karla Tucker et de Stanley Faulder ( malheureusenment
survenue le 17 juin 1999) seront, surtout, de nature instinctive
et découleront d'un respect profond pour la vie.
Toute existence mérite d'être reconduite même
si, antérieurement, elle a pu être délinquante.
Un contrôle s'avérera toujours nécessaire
dans les cas où un coefficient de dangerosité semble
subsister pour contrer l'éventualité d'une récidive.
Monsieur le Recteur,
En apprenant par diverses sources ce qui se passe depuis plus de trois ans au Département de géographie, comment ne pas faire un parallèle avec ce qui s'est passé à la Faculté de philosophie en 1976? À environ 20 ans d'intervalle, est-ce un hasard si ces deux événements mettent en cause d'une part M. Rodolphe De Koninck et d'autre part M. Thomas De Koninck? Comment expliquer que dans les deux cas, les autorités de l'Université se sont mises à leurs services, quels qu'en soient le coût et les conséquences pour l'institution?
1975-1977: j'étais professeur à la Faculté de philosophie quand le doyen Thomas De Koninck a décidé le non-renouvellement du contrat de deux professeurs, décision alors cautionnée par la direction de l'Université. J'ai été moi-même appelé à témoigner au sujet de l'évaluation d'un de ces professeurs. L'arbitrage de ce conflit, qui a conduit à la réintégration des professeurs congédiés, a montré l'abus flagrant de pouvoir du doyen De Koninck et l'arbitraire de ses décisions. (Tous les détails sont publics et contenus dans les conclusions écrites de l'arbitre). L'Université Laval, au terme d'une procédure longue et coûteuse, a dû verser des compensations monétaires importantes aux professeurs injustement licenciés, comme le demandait le tribunal d'arbitrage.
1996-1999: M. Rodolphe De Koninck, professeur au Département de géographie, fait parvenir à son collègue François Hulbert une longue lettre contenant des accusations d'une extrême gravité, comme on peut le constater en examinant la poursuite en diffamation intentée par ce dernier devant la Cour supérieure du Québec. Il s'agit d'accusation de détournements de fonds, de prévarications, de fraudes, de dépenses malhonnêtes et de malversations, qui auraient été faites aux dépens de l'Université. Si ces accusations étaient fondées, les autorités universitaires auraient dû demander des comptes et blâmer le coupable. Pourtant, de 1996 jusqu'à aujourd'hui, le professeur Hulbert n'a fait l'objet d'aucune plainte, ni d'aucune sanction disciplinaire de la part de l'Université, qui se refuse cependant à désavouer les propos de M. Rodolphe De Koninck, à faire la vérité et à rétablir les faits.
D'autre part, n'est-il pas surprenant que l'Université Laval ait pris la défense de M. Rodolphe De Koninck, celui-là même qui a porté les accusations et les a diffusées en envoyant copie de sa lettre à une dizaine de membres de la communauté universitaire au Québec? Vous avez donc accepté, monsieur le recteur, à la suite de votre prédécesseur, que l'Université Laval prenne à sa charge les frais du procureur de M. Rodolphe De Koninck, tandis que M. François Hulbert, victime des accusations, doit payer lui-même son avocat. Alors que dans vos discours et déclarations, vous ne cessez de vous plaindre du manque d'argent dans notre Université, comment pouvez-vous expliquer aux payeurs de taxes que vous acceptez de dépenser des dizaines de milliers de dollars dans une cause indéfendable?
En cette période de coupures budgétaires, l'Université est prête à payer jusqu'à combien pour empêcher que M. Rodolphe De Koninck réponde de ses actes? En agissant ainsi, voulez-vous laisser croire que la liberté universitaire va jusqu'à autoriser certains professeurs à porter n'importe quelle accusation contre un collègue, tout en étant assurés d'être défendus par votre institution, à n'importe quel prix? Existe-t-il des professeurs intouchables qui peuvent, en toute impunité et aux frais de l'Université, se comporter sans avoir à rendre des comptes, tandis que leurs victimes sont ostracisées et perdent la confiance de l'Université sans égards pour les étudiants qui travaillent avec eux?
Bien au-delà des murs du pavillon Charles-De Koninck, où se trouve le Département de géographie, circulent des rumeurs de toutes sortes qui permettent facilement d'imaginer le climat pourri qui doit y régner, au détriment de son bon fonctionnement, de la réputation des professeurs et de l'intérêt des étudiants. À qui profite donc cette situation malsaine pour que vous ayiez choisi, M. le Recteur, de vous engager dans la voie d'un procès long et coûteux plutôt que de réfuter les accusations de M. Rodolphe De Koninck?
Maintenant que le dossier est au Palais de justice en attendant que la date du procès soit fixée, n'est-il pas temps d'agir avant qu'il soit trop tard? Si le Premier ministre Lucien Bouchard peut désavouer un ministre qui a outrepassé ses pouvoirs, pourquoi ne pouvez-vous pas faire la même chose avec un professeur dans de semblables circonstances? Le moment n'est-il pas venu de mettre votre autorité au service de l'équité, de l'intérêt général et du renom de l'Université Laval?
L'ANTIFÉMINISME ORDINAIRE
Le 6 décembre nous rappelle la tuerie de Polytechnique.
Dix ans après, la société québécoise
a-t-elle évolué vers une acceptation de l'égalité
entre les femmes et les hommes qui permette de mieux penser ce
drame ? Il semble que oui, car peu de gens refusent maintenant
de voir que Marc Lépine n'est pas seulement le produit
d'une histoire individuelle, mais aussi le produit d'une société.
Il a tué ces quatorze femmes en les accusant d'être
toutes des féministes. Quelles représentations du
féminisme avait-il pour poser un tel geste?
Cette interrogation nous habite. Nous pensons que les représentations négatives du féminisme se construisent au quotidien par des propos dont la portée est souvent mal évaluée. Récemment, la parution du rapport du Conseil Supérieur de l'Éducation titré Pour une meilleure réussite scolaire des garçons et des filles a suscité certains commentaires dans les médias d'information, dont plusieurs ont fourni des exemples de médiatisation de représentations négatives du féminisme. Ainsi, concernant la construction de ces représentations, les commentaires de certains journalistes révèlent les processus suivants: a) la sélection et la réduction de l'information donnée (le féminisme lui-même n'est pas défini par les journalistes; on ne fait qu'accuser le féminisme); b) la diffusion d'une idée simple, que tout le monde peut s'approprier, pour répondre à une question complexe, c'est-à-dire: "pourquoi les garçons échouent? C'est parce qu'on les a brisés " on en a fait des individus désexisés; c) l'utilisation de la stratégie du bouc émissaire: "les féministes sont les coupables, les garçons, leurs victimes". De tels discours dans les médias sont d'autant plus dangereux qu'ils se prétendent experts, du fait qu'ils analysent "de l'extérieur", -soi-disant en toute objectivité- un rapport de recherche qui lui est présenté comme "subjectif" alors qu'il a été rédigé par des spécialistes. Ils se veulent crédibles alors qu'ils ne font que simplifier un problème complexe qui révèle des enjeux sociaux importants.
Le féminisme est donc présenté comme une idéologie d'exclusion et dès lors, comme un système à combattre. Mais le féminisme n'a jamais été un système, c'est plutôt une attitude d'esprit et de coeur, celle de prendre le parti de la justice pour les femmes de toutes les catégories sociales. C'est voir dans le présent la continuité du combat passé des femmes pour l'égalité de droit et des conditions de vie. C'est aussi un corpus de résultats de recherche qui nous permet d'observer dans le monde les variations dans l'atteinte de cette égalité, les conditions dans lesquelles ces progrès surviennent, mais aussi, l'ampleur du travail qu'il reste à faire. Si nous ne connaissions pas l'histoire des femmes, comment penser le présent et agir sur le futur des prochaines générations?
La fabrication de représentations négatives du féminisme sert quels intérêts sinon ceux d'un courant réactionnaire? Nous pouvons comprendre que le terme et le champ de connaissances suscitent un malaise chez certaines personnes, car le pouvoir, l'épistémologie, le monde y ont été et y sont pensés par des femmes. C'est un malaise que nous connaissons bien car, nous avons dû et nous devons encore, dans nos milieux de travail, nous adapter à des façons de faire pensées par, et souvent pour, des hommes. Certains se réclament même parfois de cette exclusion au nom de la culture savante ou de la tradition. Le féminisme est un mouvement inclusif qui cherche à amoindrir ce malaise dans le monde. À défaut de pouvoir continuer d'ignorer la persistance du sexisme et de la misogynie dans la société, certaines personnes voudraient rendre illégitime le féminisme et notamment les études féministes. La recherche féministe est pourtant nécessaire parce qu'elle permet de comprendre des réalités complexes, en humaniste qu'elle est, reconnaissant les diversités, en prenant en compte la réalité des femmes et des filles pour éclairer autrement, ce qu'on pensait savoir. Tous et toutes profitent de la reconnaissance de cette complexité, pour mieux l'aborder et rechercher des solutions plus appropriées aux problèmes sociaux. La recherche féministe est nécessaire aussi parce que des changements s'imposent dans la répartition des ressources sociales qui sont toujours plus mal distribuées.
La violence de Marc Lépine a ravivé chez beaucoup de personnes, le désir de s'engager dans la recherche des moyens pour développer des relations égalitaires entre les femmes et les hommes. Les féministes sont des personnes qui travaillent en ce sens. Ce que celles qu'il a assassinées avaient en commun, ce n'est pas tant le fait d'un engagement social autour de la cause des femmes, mais le fait qu'à ses yeux, elles se trouvaient à occuper une place, qu'en tant que femme, il ne leur reconnaissait pas le droit d'occuper. Le féminisme est là pour documenter, pour exiger et pour répéter que le pouvoir et les emplois appartiennent aux femmes autant qu'aux hommes et pour dénoncer les vraies oppositions, celles qui concernent les puissants et les démunis, les riches et les pauvres, les exploiteurs et les exploités et non les hommes et les femmes.
Ces quatorze femmes sont mortes notamment parce qu'il avait une représentation négative du féminisme. Paradoxalement, dix ans après, certains nous accuseront encore de "récupération féministe" du drame.