25 novembre 1999 |
Qu'on les appelle organismes génétiquement modifiés (OGM), plantes ou animaux transgéniques ou encore chimères, les êtres vivants à qui des scientifiques ont transplanté un gène d'une autre espèce ont mauvaise presse par les temps qui courent. Greenpeace passe à tabac les compagnies qui font dans le transgénisme, les médias font leurs choux gras des agissements discutables de ces corporations et les consommateurs sont sur les dents. En début novembre, Télé-Québec présentait une semaine thématique sur la transgenèse au cours de laquelle elle diffusait une série d'émissions sur le sujet, notamment un "Droit de parole" qui posait la question "Avez-vous peur de manger des aliments qui ont subi une manipulation génétique?" Résultat: 87% des 1030 répondants ont dit oui. Une question similaire, diffusée la même semaine sur Cybersciences, le site Web de Québec Science, visité par des gens plus pragmatiques pourrait-on croire, donnait un résultat similaire: 58% des répondants disaient craindre les aliments transgéniques.
L'opinion publique, qui était largement favorable aux biotechnologies il y a trois ans à peine, glisse peu à peu vers la méfiance, voire l'opposition envers les OGM. Les applications médicales du transgénisme rallient encore un bon pourcentage de la population mais il en va autrement en ce qui concerne l'alimentation où la résistance est farouche. Convaincus qu'une bonne dose de démagogie et d'irrationalité alimente présentement le débat - certains chercheurs parlent même d'une "paranoïaque hystérie collective" -, des membres de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation (FSAA) ont décidé de prendre le taureau transgénique par les cornes en organisant une série de conférences-débats au cours de l'automne et de l'hiver 1999-2000.
Le premier événement, présenté le 17 novembre à l'initiative de Guy Debailleul, François Belzile, François Pothier et Gaston St-Laurent, a réuni des chercheurs de la FSAA ainsi que bon nombre d'étudiants des trois cycles. Le colloque a permis de faire un tour d'horizon des activités de recherche menées en transgénisme à la Faculté et de montrer que les chercheurs qui y travaillent ne sont pas des cerveaux sans conscience. Ainsi, François Belzile, dont les travaux portent sur les plantes transgéniques, a admis que les choses vont "un petit peu vite du côté des applications commerciales et qu'on pourrait mieux cibler les impacts sur l'environnement. Le transgénisme n'est pas une panacée, pas un miracle, pas la solution à la faim dans le monde. C'est juste un outil de plus en amélioration génétique", a-t-il résumé.
Ras-le-bol
Certaines remarques des chercheurs ont laissé filtrer
la frustration et la lassitude qu'ils éprouvent à
ramer constamment à contre-courant de l'opinion publique.
"Ce n'est pas parce que la perception populaire des OGM est
négative qu'il faut conclure que les OGM sont néfastes,
a déclaré Marc-André Sirard, directeur du
Centre de recherche en biologie de la reproduction. Il ne faut
pas confondre la paranoïa et la réalité. S'il
fallait interdire les OGM parce que les gens pensent que c'est
mauvais, il faudrait également interdire les impôts."
Pour sa part, François Pothier, qui faisait récemment
la une des journaux avec sa souris transgénique qui produit
de l'hormone de croissance humaine dans son sperme, estime que
"c'est dur de rester neutre dans ce débat quand vous
êtes la cible des critiques et que vous vous faites passer
dans le tordeur." La professeure Diane Parent, qui agissait
comme animatrice lors de la session générale qui
clôturait le colloque, reconnaît que faute d'opposants,
il n'y a pas eu de véritable débat. Mais, elle tire
tout de même une conclusion positive de l'expérience.
"On parlait beaucoup d'OGM un peu partout sauf ici à
la faculté. Le colloque a mis le sujet à l'ordre
du jour."
Ce colloque interne aura donc surtout servi à échauffer les troupes en prévision des prochains événements organisés par la Faculté. En effet, au cours des prochaines semaines, la FSAA présentera un colloque à l'intention des journalistes puis un autre destiné aux représentants du monde politique où il risque d'y avoir un peu plus de brasse-scientifiques. Enfin, dans la dernière semaine de janvier 2 000, le grand public pourra à son tour prendre connaissance de la nature des travaux faits en transgénisme à Laval et discuter avec les chercheurs lors de la Semaine de l'agriculture, de l'alimentation et de la consommation. C'est alors que les scientifiques pourront véritablement mesurer l'ampleur du fossé qui les sépare du Québécois moyen sur la question des OGM.