7 octobre 1999 |
La vie de fonctionnaire ne serait peut-être pas aussi calme et reposante qu'on se plaît à la dépeindre, révèle un mémoire de maîtrise réalisé par Farah Ouamara du Département des relations industrielles. L'étudiante-chercheure a découvert, en analysant les données d'une enquête menée auprès de 3 000 membres du Syndicat des professionnels du Gouvernement du Québec, que 72 % d'entre eux avaient subi, au moins à une occasion, une forme de violence au travail. Les femmes sont davantage atteintes par ces violences puisque 78 % d'entre elles en ont été victimes contre 68 % des hommes, apprend-on dans son étude réalisée sous la supervision du professeur Michel Audet.
Quatre formes de violence
La violence psychologique serait la forme de violence la plus
répandue
au sein du gouvernement et des sociétés d'État;
58 % des répondants disent en avoir déjà
été victimes au moins une fois. Ses manifestations
les plus courantes sont la mise en doute des compétences
(29 % des répondants), voir une autre personne être
créditée d'une réussite qui nous revient
(23 %), perdre injustement des dossiers importants ou intéressants
(23 %), se faire surcharger de travail (21 %), recevoir une évaluation
à la baisse pour des motifs insuffisants (20 %) et se faire
traiter comme un valet (20 %). Ce type de violence frappe indistinctement
les hommes et les femmes.
La violence verbale est également monnaie courante puisqu'elle a touché 51 % des fonctionnaires, et plus fréquemment les femmes (57 %) que les hommes (47 %). Ses formes les plus courantes sont l'intimidation verbale caractérisée par des propos méprisants et des moqueries (38 %), l'engueulade (35 %) et les insultes verbales pimentées de sacres et de propos orduriers (25 %).
La violence sexuelle éprouve plus durement les femmes (36 % des répondantes) que les hommes (5 %). Dans l'ensemble, 16 % des répondantes disent en avoir été victimes en une occasion au moins. Pour les femmes, cette forme de violence se manifeste par des blagues sexistes et des propos dégradants à connotation sexuelle (28 %), par des sifflements et des regards insistants (14 %), par des remarques déplacées sur le physique (14 %) ainsi que par des frôlements et des attouchements (9 %).
Enfin, 12 % des fonctionnaires ont vécu au moins une manifestation de violence physique proprement dite. Environ 9 % des répondants ont déjà fait l'objet de menaces physiques alors que 5 % ont été la cible d'un geste violent. Donnée étonnante, 2,5 % des répondants ont reçu des menaces de mort ou ont été menacés avec une arme blanche. Parmi les cas extrêmes se retrouvent un fonctionnaire qui a découvert une bombe télécommandée installée à proximité de sa voiture et un autre qui a été victime de tir à la mitraillette!
Mince consolation pour les fonctionnaires, il existe des corps d'emploi où la violence physique est encore plus fréquente. Une enquête menée auprès des infirmières en 1995 a montré que 90 % d'entre elles ont déjà été victimes de violence sur leurs lieux de travail.
Profil de l'agresseur
Les gestes violents sont le plus souvent posés par
des hommes. Ils sont les agresseurs dans 90 % des cas de violence
physique, 85 % des cas de violence sexuelle, 70 % des cas de violence
verbale et 65 % des cas de violence psychologique.
Les manifestations de violence physique proviennent surtout des clients (pour 56 % des répondants) desservis par les fonctionnaires; les collègues et les supérieurs viennent loin derrière avec respectivement 22 %et 15 % des cas. Par contre, les supérieurs sont responsables de 87 % des cas de violence psychologique et de 51 % des cas de violence verbale. Enfin, 62 % des cas de violence sexuelle sont imputables aux collègues et 30 % aux supérieurs.
Le fait que les supérieurs ont souvent recours à la violence crée un climat propice à la violence entre collègues, signale Farah Ouamara. Le mauvais exemple vient de haut et les employés se conforment à ce qui semble être la culture organisationnelle.
Selon Farah Ouamara, la violence qui sévit au sein de la fonction publique et des sociétés d'État québécoises traduit le malaise grandissant que vivent les professionnels dans leur milieu de travail. L'expression de ce malaise sous différentes formes de violence témoigne d'un déséquilibre profond de l'organisation bureaucratique. Le milieu de travail des fonctionnaires est marqué par les coupures budgétaires, par des suppressions de postes, par une surcharge de travail et par l'exigence de nouvelles compétences. "Les professionnels vivent dans un climat d'incertitude. L'organisation bureaucratique n'était pas préparée à vivre des changements importants et permanents. L'existence de ces comportements violents est liée, en partie, à l'incapacité de la bureaucratie à réviser son fonctionnement et à faire face au contexte actuel du travail", estime l'étudiante-chercheure.