11 février 1999 |
N'importe quel enseignant rêve un jour de jouir de la même attention dont a bénéficié Michel Chossudovsky mercredi dernier lorsqu'il a prononcé une conférence à l'auditorium du pavillon La Laurentienne. L'auteur de La mondialisation de la pauvreté était invité par l'Association des étudiants et des étudiantes de Laval inscrits aux études supérieures (ÆLIÉS) et les AmiEs de la Terre de Québec. Pendant plus de deux heures, une salle bourrée à craquer a écouté sans un murmure ce professeur en économie politique de l'Université d'Ottawa mettre méthodiquement en pièces le nouvel ordre capitaliste mondial. Michel Chossudovsky a été conseiller économique auprès de plusieurs gouvernements de pays en développement, d'organismes internationaux tels que la Banque africaine de développement et l'Organisation internationale du travail, ainsi que de divers programmes et commissions des Nations Unies.
Le docteur Knock, le célèbre personnage de la pièce de Jules Renard, avait coutume de toujours répliquer "le poumon", lorsque ses nombreux patients souffrant du dos, de l'estomac ou de vertiges venaient le consulter sur la cause de leurs maux. Michel Chossudovsky a lui aussi trouvé la source des conflits et des difficultés économiques qui affligent autant de pays dans le monde. Selon lui, l'ombre des grandes banques mondiales, du Fonds monétaire international (FMI) et des spéculateurs se dissimule derrière chaque guerre civile ou internationale, derrière chaque effondrement de l'économie d'un État qui se pensait souverain.
Non à la globalisation
Si pour nombre de médias ou d'économistes la globalisation
des marchés concourt à l'amélioration du niveau de
vie mondial, aux yeux de ce professeur d'économie politique la mondialisation
a au contraire un effet dévastateur. Il cite ainsi l'exemple du Rwanda,
un pays autosuffisant jusqu'au début des années 1990. Mais
en novembre 1990, le FMI impose une dévaluation de 50 % de la monnaie
locale, et les producteurs de café qui exportent leur produit voient
leurs prix gelés. Comme dans le même temps leurs frais de production
restent identiques, une série de faillites en cascade se produit.
Les Rwandais se tournent alors vers les cultures vivrières, mais ils doivent affronter dans le même temps l'arrivée des surplus céréaliers en provenance de la Communauté économique européenne et des États-Unis dont le dumping est soutenu par la Banque mondiale. Selon Michel Chossudovsky, ces différents événements provoquent un effondrement de l'économie nationale, et la crise qui en découle prépare le terrain au génocide interethnique survenant quelques années plus tard.
De la Bulgarie à la Somalie, en passant par la Yougoslavie, Michel Chossudovsky a démonté le fonctionnement du traitement de cheval que le Fonds monétaire international applique aux pays qui souhaitent recevoir un prêt. "En règle générale, il faut que le gouvernement dévalue la monnaie, impose des mesures d'austérité, ce qui l'amène à fermer des écoles, des hôpitaux. Mais l'État doit surtout privatiser une grande partie de son appareil de production, ce qui provoque une série de banqueroutes. Or, dans le même temps le Fonds monétaire ne prête qu'une partie de l'argent nécessaire au remboursement des créanciers, maintenant donc le pays dans le carcan de la dette."
Le club des 200 familles
Michel Chossudovsky n'en démord pas: le niveau de vie des citoyens
ne cesse de diminuer dans le monde au profit d'une poignée de familles
qui jamais n'ont accumulé tant de richesses. Et le conférencier
de citer l'exemple du Québec dont le gouvernement doit se soumettre
selon lui aux diktats des créanciers qui détiennent sa dette
publique: "On assiste actuellement à des ajustements structurels
à l'Université Laval, une conséquence directe de cette
politique. Je crains que les coupures dans les programmes ne conduisent
au démantèlement du système d'éducation."
"Mais que peut-on faire ?", s'interroge un spectateur dans la salle d'une voix angoissée. "Se mobiliser pour démasquer le mensonge et remettre en question la légitimité politique et économique de ceux dont l'action mène à un appauvrissement généralisé, rétorque derechef Michel Chossudovsky. Il faut mettre en place des initiatives de solidarité pour aider les personnes affectées par la crise à survivre, mais sans tomber dans le piège de l'économie sociale qui permet au gouvernement de se retirer de programmes sociaux." Le conférencier prend des accents de tribun pour appeler les citoyens à débattre de la mondialisation dans les écoles, les associations, les lieux de travail. Il les enjoint aussi à démocratiser ces syndicats qui ont appuyé le déficit zéro lors du dernier sommet socioéconomique. Bref, Michel Chossudowsky redonne une nouvelle actualité à ce slogan de Mai 68: "Ce n'est qu'un début, continuons le combat!"