![]() |
12 novembre 1998 ![]() |
LA COMPLAINTE DE L'UNIVERSITÉ...
Par Jeffrey Simpson
(Globe & Mail, le jeudi 5 novembre 1998)
Les présidents et recteurs des universités, soumis à des pressions internes et externes constantes dans leurs institutions et ballottés par une politique intérieure incessante et parfois vicieuse, occupent la fonction la plus difficile au Canada. Tenter de satisfaire toutes les demandes concurrentes au sein d'une université revient à tenter de rassembler en troupeau une bande de chats. Il en va de même lorsque vient le temps d'identifier les priorités, lorsqu'autant de demandes cherchent à être satisfaites.
Pour Robert Pritchard, président de l'Université de Toronto, une priorité domine les autres maintenant pour son université et pour le Canada: ralentir la fuite des cerveaux et des talents vers les États-Unis. Lors d'une conversation dans son bureau en compagnie du doyen des sciences de l'administration, de celui de droit et de son vice-président à la recherche, M. Pritchard ne ménage pas ses mots."Nous essayons de diriger une université qui est en compétition avec les meilleures universités au monde, et nous sommes totalement et systématiquement désavantagés dans tout ce que nous faisons, si on excepte la beauté de la ville et du pays", dit-il. "Pour le reste, tout joue contre nous dans le recrutement et la rétention des talents".
En fin de semaine dernière (NDRL: le 1er novembre), les présidents et recteurs des 10 universités canadiennes les plus engagées en recherche se sont réunis et, selon M. Pritchard, "la principale préoccupation... était celle de la fuite des cerveaux". Le meilleur chercheur [de l'Université de Toronto] en histoire de la Chine, son leader en astrophysique, huit professeurs des sciences de l'administration, pour ne fournir que quelques exemples, ont quitté l'Université de Toronto l'an dernier pour poursuivre leur carrière aux États-Unis. L'Université de Toronto a ratissé les 20 meilleurs départements d'économique du continent l'an passé, elle a fait des offres formelles à 12 professeurs, offres qui furent rejetées par 11 d'entre eux. "Ce n'est pas seulement que nous perdons nos meilleurs professeurs", de dire M. Pritchard. "C'est: pouvons-nous recruter?" La fuite des cerveaux, poursuit-il, n'était pas sa priorité numéro un il y a cinq ans, mais au cours des trois dernières années, elle est vite montée en tête de liste.
"La Révolution du bon sens [du premier ministre Harris] et les coupures fédérales aux grands organismes subventionnaires... Tout cela combiné à l'effet de la chute de notre dollar et les investissements incroyables aux États-Unis... Nous avons été réellement assommés comme institution publique depuis 1993. Les Américains, eux, se sont réveillés. Ils sont devenus globaux. Ils voient dans notre pays une incroyable moisson de talents qui attendent d'être cueillis."
Roger Martin, le nouveau doyen de l'École des sciences de l'administration de l'Université de Toronto, ajoute que le Canada fait maintenant face à la troisième vague économique. D'abord, explique-t-il, les richesses naturelles sont devenues mobiles, transportées d'un pays à l'autre pour être transformées. Puis le capital est devenu hautement mobile à son tour, alors que l'argent circule autour du globe simplement en pesant sur un bouton. Maintenant, une main-d'oeuvre de plus en plus formée devient mobile alors que les entreprises transnationales et les institutions recherchent le talent dans une poignée de pays.
La question-clé pour tous ceux qui étaient autour de la table de discussion était posée crûment: jusqu'à quel point le Canada est-il ambitieux, et allons-nous devenir compétitifs à l'échelle internationale? Avec des taux marginaux de taxation élevés, un financement de la recherche inadéquat lorsque comparé aux meilleures universités publiques américaines, et des salaires inférieurs de 40 % à ceux des Américains, l'Université de Toronto se trouve en net désavantage concurrentiel lorsqu'elle essaie d'être compétitive en Amérique du Nord. De plus, les lois américaines de l'immigration facilitent la tâche des universités américaines lorsqu'elles recrutent au Canada et ailleurs; par contre, les lois canadiennes donnent un tel avantage aux citoyens canadiens qu'il est beaucoup plus difficile à des universités comme celle de Toronto d'embaucher des étrangers au sein de leur corps professoral.
Tous, dans les milieux universitaires, ne partagent pas les complaintes de M. Pritchard et de ses collègues. La plupart des universités canadiennes n'aspirent pas à être compétitives à l'échelle nord-américaine ou mondiale. Beaucoup d'entre elles s'inquiètent de voir le Groupe des 10 universités canadiennes les plus engagées en recherche prendre trop d'avance sur les autres. Elles craignent, de fait, un système de financement universitaire à double niveau susceptible de les laisser loin derrière.
Lorsque M. Pritchard pointe du doigt la Californie et son système différencié d'enseignement supérieur, avec des universités fortement engagées en recherche d'une part (l'Université de Californie à Los Angeles et Berkeley, et l'Université de Southern California), et des université publiques d'enseignement et des collèges communautaires d'autre part, bon nombre de président d'autres universités canadiennes frémissent, craignant que les ressources de leur établissement ne soient être coupées.
Les ambitions de M. Pritchard pour son université - et, par extension, pour le Canada - devraient être au centre et à l'avant-scène du débat public au Canada. Le pays perd certains de ses meilleurs et plus brillants cerveaux à l'époque où le capital humain n'a jamais été aussi important pour la croissance économique.
Les universités, en particulier, ont perdu la course au financement public derrière la santé et les services sociaux dans les budgets provinciaux. La perte de certains de ses meilleurs professeurs et chercheurs est certes un problème pour l'Université de Toronto, mais c'est aussi un problème pour les autres universités canadiennes et, par extension, pour le Canada.
(Publié avec l'aimable autorisation duGlobe & Mail)
PRÉCISIONS DU VICE RECTEUR CLAUDE GODBOUT AU SUJET DU BUDGET D'ACQUISITION DE LA BIBLIOTHÈQUE
À tous les membres de la communauté universitaire,
Au cours des récentes semaines, j'ai pris connaissance avec intérêt de plusieurs démarches et messages concernant le budget d'acquisition de la Bibliothèque. Je comprends comme vous l'importance de la Bibliothèque et de son budget d'acquisition dans la dynamique de notre Université et je suis préoccupé par la difficulté que nous avons et que nous aurons dans le futur à maintenir nos acquisitions à un niveau adéquat. Afin de cerner les différentes facettes de cette problématique, j'ai décidé de publier cette lettre ouverte dans le journal Au Fil des événements.
Il faut d'abord mettre cette question en contexte, c'est-à-dire tenir compte de la situation financière très difficile à laquelle est confrontée l'Université Laval. En effet, comme vous pourrez le constater dans le tableau ci-joint, notre dette accumulée a atteint 83 millions de dollars au 31 mai 1998 et, en dépit d'efforts budgétaires sans précédent pour diminuer les dépenses durant l'année en cours, cette dette s'accroîtra quand même d'un autre 17 millions au 31 mai 1999, et ce, si toutes les prévisions budgétaires sont respectées, ce qui n'est pas encore assuré.
Lors de l'élaboration du budget, nous avons fait face à des difficultés extrêmes. C'est ainsi que pour l'année en cours, la direction de l'Université a cherché par tous les moyens à maintenir le budget d'acquisition de la Bibliothèque au même montant que l'an dernier, soit 6 millions de dollars. Ayant cependant décidé qu'il nous fallait impérativement protéger une certaine capacité de renouvellement du corps professoral, nous avons dû chercher des moyens de dégager des ressources et, en particulier, d'accéder à des ressources nouvelles hors budget. C'est ce qui nous a amenés à proposer le mécanisme d'appariement comme moyen pour protéger le budget d'acquisition de la Bibliothèque à son niveau de 6 millions de dollars, en faisant appel à des ressources nouvelles équivalant à 1 million de dollars, le budget d'appariement de 1 million devant servir à faciliter l'accès à ces nouvelles ressources.
Ces nouvelles ressources pourraient provenir d'une multitude de sources:
- fonds d'enseignement et de recherche des facultés;
- retour sur les frais généraux d'activités de recherche;
- fonds d'investissement étudiant;
- fonds de soutien aux activités académiques des professeurs;
- autres fonds éventuellement disponibles aux facultés.
Certains laissent entendre que l'approche proposée aura des effets néfastes et que le budget d'acquisition des bibliothèques doit être de la seule responsabilité de l'Université. Cependant, nous n'avons pas, au niveau de l'institution, accès aux sources que je viens de mentionner pour tenter de maintenir le budget d'acquisition et en même temps protéger un certain renouvellement du corps professoral. D'autres proposent d'utiliser sans modalité d'appariement le million de dollars destiné à cette fin. Cette approche irait à l'encontre des décisions du Conseil d'administration de l'Université Laval, de même qu'elle impliquerait le renoncement à toute tentative d'avoir accès à de nouvelles ressources pour tenter de maintenir le budget d'acquisition. Il n'est cependant pas dans nos intentions d'utiliser ce budget pour d'autres fins que les acquisitions de la Bibliothèque.
Par ailleurs, sachant les disponibilités financières réduites au fonds général de la Fondation, la direction de l'Université n'a pas sollicité cette source autrement que pour la mise en place d'Ariane. En effet, il est utile de rappeler ici que, lors de la Campagne Défi, moins de dons que prévus ont été spécifiquement dédiés à la Bibliothèque ou même au Fonds général, diminuant ainsi la capacité de générer annuellement des revenus qui lui seraient retournés.
Ceci dit, l'inflation de 10 % à 15 % par année du coût des livres et périodiques nous oblige à envisager d'autres mesures.
D'une part, avec la collaboration de la direction de la Bibliothèque et de la Fondation de l'Université Laval, nous sommes en train de mettre sur pied une campagne de souscription dont le seul objectif sera de doter la Bibliothèque d'un fonds propre. Certains d'ente vous seraient peut-être prêts à considérer une contribution personnelle à cette campagne ou à envisager, comme cela se fait dans d'autres universités "d'adopter une collection".
D'autre part, la source première du problème se situe dans l'inflation des coûts des publications. Contrer cette inflation va exiger, de la part de toute la communauté universitaire, un effort de concertation à l'échelle mondiale. Les implications sont nombreuses, de nos processus d'évaluation de la performance en recherche au désir de nombreux collègues de voir nos "surspécialités" reconnues par la création de nouvelles revues qui segmentent toujours plus le marché, en passant par la disponibilité des professeurs à collaborer avec les éditeurs, qu'on décrie par ailleurs, ou par l'abandon des publications à ces mêmes éditeurs par les Sociétés savantes en mal de faibles revenus. Notre recteur a signifié, plus d'une fois, sa disponibilité à s'impliquer dans une action universitaire nationale et internationale de grande envergure pour nous attaquer aux racines du mal, mais nous devons tous réaliser que nous sommes, à titre individuel, des artisans de certaines des causes de ce mal.
Enfin, dans l'optique de faire valoir le rôle régional et suprarégional que joue la Bibliothèque de l'Université Laval et d'obtenir ainsi un appui structurant du gouvernement du Québec, le recteur et moi-même avons abordé lors d'une récente rencontre avec le Premier ministre, M. Lucien Bouchard, l'hypothèse d'une complémentarité, à Québec, avec la Grande Bibliothèque du Québec. Celui-ci s'est montré très réceptif et devrait sensibiliser la directrice de la Grande Bibliothèque à cette question. Le recteur a déjà communiqué avec la directrice pour donner suite à cet entretien.
Comme vous le voyez, la question n'est pas simple et sa solution se trouve dans une volonté de collaboration de tous les membres de la communauté universitaire. J'espère pouvoir compter sur votre ouverture à une telle collaboration.
Veuillez agréer l'expression de mes sentiments distingués.