19 février 1998 |
Des universitaires de tous les horizons proposent un train de mesures pour contrer le pourrissement des relations entre le Québec et le Canada et le sur-place des élites politiques depuis le référendum de 1995.
Alors que les juges de la Cour suprême se penchent sur la légalité d'une déclaration unilatérale d'indépendance du Québec, des politologues, des juristes, des économistes d'un océan à l'autre invitent nos dirigeants à retrouver le sens du dialogue pour éviter d'en arriver à cette solution extrême. Ils leur présentent même un scénario de réconciliation en quatre étapes.
Préparé sous la direction de Guy Laforest, professeur de science politique à l'Université Laval et de Roger Gibbins, professeur de science politique à l'Université de Calgary, l'ouvrage Sortir de l'impasse, les voies de la réconciliation se présente comme un antidote au pourrissement qui caractériserait aujourd'hui les relations entre le Québec et le reste du pays. Quelques un des auteurs de cet ouvrage collectif, publié par l'Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), présentaient le fruit de leurs réflexions aux participants d'un colloque organisé du 11 au 16 février dernier, à Québec, par l'Association internationale de science politique.
Comme le faisait remarquer Guy Laforest lors de la rencontre qui réunissait notamment des chercheurs norvégiens, français, russes, italiens et américains, le politologue a l'obligation de prendre la parole quand la situation politique va mal. Le projet de ce livre collectif est donc né du désir de temporiser les excès des deux camps politiques qui s'affrontent au Canada. Une des premières recommandations du scénario de réconciliation, imaginé par le professeur de l'Université Laval et son collègue de l'Université de Calgary, pourrait d'ailleurs s'appeler "la politique de la main tendue". Ils suggèrent en effet au premier ministre du Canada de reconnaître que le rapatriement de la Constitution en 1982 était une erreur, tandis que de son côté le premier ministre du Québec préciserait qu'aucune nécessité historique ou théorique ne force le Québec à devenir indépendant.
Roger Gibbins et Guy Laforest recommandent par ailleurs de réinventer des institutions canadiennes et la charte politique du pays afin de refléter le caractère multinational du partenariat canadien, en plus de tenir une assemblée constituante qui formulerait ces changements. Le tout sera bien sûr validé par des consultations référendaires. Selon ses auteurs, même si ce scénario demeure encore irréaliste dans un avenir immédiat, il a au moins le mérite d'apporter du sang neuf dans un débat politique figé depuis les résultats déchirants du référendum de 1995.
Ouverture et dialogue
Les dirigeants politiques du Parti Libéral du Canada et du Parti
Québécois pourraient d'ailleurs peut-être s'inspirer
de l'attitude d'ouverture des 13 auteurs qui ont participé à
la rédaction de l'ouvrage collectif de l'IRPP. Après deux
ans de travaux, de réflexions et de rencontres avec des experts constitutionnels
d'autres pays, les chercheurs ont presque réussi à inverser
leurs rôles mutuels. Les rédacteurs québécois
se sont parfois montrés très critiques envers les projets
de souveraineté-partenariat formulés au Québec, tandis
que certains ardents défenseurs du fédéralisme remettaient
en question l'orthodoxie et à la rigidité du mode de fonctionnement
actuel de la fédération canadienne.
Pour dénouer les noeuds de l'impasse qui prévaut actuellement, il faut donc absolument tourner le dos aux tentatives de rafistolage proposées par les uns et les autres, et tenter d'assouplir les institutions actuelles. Car elles ont le défaut de ne pas assez refléter la diversité canadienne. Comme le faisait remarquer Roger Gibbins lors du colloque, Ottawa s'attire aussi bien l'opprobre des Québécois que celle des Canadiens de l'Ouest, irrités par la constante intrusion du gouvernement central dans des champs de compétence de juridiction provinciale. Par ailleurs, la poursuite d'un fédéralisme idéal reposant sur l'égalité, voire l'identité des droits des provinces semble irréaliste, et même vouée à l'échec.
Fédéralisme assymétrique: le retour
Pour retrouver l'esprit de la diversité canadienne, que tentaient
d'exprimer les Pères de la Confédération en 1867 à
travers l'adoption d'une structure fédérale, Réjean
Pelletier, professeur au Département de science politique de l'Université
Laval, prêche, lui, pour une reconnaissance de l'assymétrie
qui devient "une réalité contournable dans le Canada
d'aujourd'hui." Selon ce principe, le fédéralisme doit
exprimer une unité respectueuse de la diversité, "ce
qui peut conduire à l'octroi, sinon à l'exercice, de compétence
selon des voies variées."
Dans l'ouvrage Sortir de l'impasse, les voies de la réconciliation, les chercheurs font preuve de souplesse pour découvrir de nouvelles solutions au partenariat Canada-Québec, les différentes approches empruntant simultanément à la fédération et à la confédération. Seules deux options demeurent exclues, le statu quo et la séparation en deux États souverains. Les différents auteurs se méfient également de toute vision risquant de devenir hégémonique, car ils montrent une réelle volonté de découvrir de nouveaux mécanismes permettant l'expression des différentes communautés du pays, en partie celle des autochtones, trop souvent exclus des discussions.
Même si, sur papier, les changements constitutionnels se revèlent viables, l'échec des multiples tentatives précédentes pour réformer le fédéralisme canadien démontre clairement l'ampleur de la tâche. D'autant plus que, comme le faisait remarquer Réjan Pelletier, la volonté politique de sortir de l'impasse manque cruellement, que ce soit chez les élus ou les citoyens. Ainsi, 63 % des Canadiens à l'extérieur du Québec, voire 70 % dans l'Ouest Canadien, déclarent préférer la ligne dure à des changements susceptibles d'accomoder le Québec. Dans ces conditions, il y a fort à parier que le renouvellement du fédéralisme canadien sera encore à l'heure du jour au début du troisième millénaire.