29 janvier 1998 |
La femme critique, l'homme déguerpit: une autre scène de la vie conjugale où chaque acteur tient bien son rôle sans trop savoir pourquoi.
La plupart des études qui portent sur les couples en situation de conflit décrivent le même scénario: les femmes adoptent des comportements négatifs tant au plan verbal que non verbal et les hommes battent en retraite. Incomprises, les femmes augmentent l'intensité de leurs messages négatifs, ce à quoi leurs compagnons répondent, pour ainsi dire, en se taisant ou en fuyant la discussion. L'escalade infernale qui s'ensuit donne lieu à une dynamique de poursuite-retrait qui se prête bien à la caricature mais qui s'avère tout de même l'un des indices les plus sûrs que le couple se dirige irrémédiablement vers la dèche. Au moment du mariage, on peut déjà prédire 90% des divorces en fonction du comportement de retrait de l'homme, signale la psychologue Lyse Turgeon, auteure d'un doctorat sur la dynamique poursuite-retrait dans le couple.
"La littérature populaire, les rapports des cliniciens et les travaux de recherche montrent souvent que les femmes reprochent aux hommes de ne pas exprimer suffisamment leurs sentiments et de ne pas les écouter lorsqu'elles veulent leur parler", écrit-elle dans un article qu'elle signe avec le professeur Jean-Marie Boisvert, dans un récent numéro de la Revue canadienne des sciences du comportement. Pourtant, ajoutent les deux chercheurs, plusieurs études ont montré que dans un contexte où les gens ont le choix des sujets de discussion, les hommes peuvent être aussi expressifs et se révéler autant que les femmes. "L'inexpressivité des hommes paraît donc spécifique à certaines situations, particulièrement à une relation conjugale en détresse."
Le sexe du pouvoir
Selon plusieurs psychologues, les hommes détiennent plus de pouvoir
dans le couple et ils éviteraient les confrontations avec leur conjointe
par crainte de perdre des acquis. Règle générale, les
hommes retireraient plus de bénéfices que leurs conjointes
de la vie conjugale; les femmes assument la plus grande part des tâches
ménagères et elles veillent à l'éducation des
enfants même lorsqu'elles occupent un emploi à temps plein.
L'insatisfaction des femmes par rapport à la vie conjugale s'exprimerait,
entre autres, par le fait qu'elles initient la plupart des demandes de thérapie
de couple et qu'elles éprouvent plus de problèmes psychologiques,
notamment la dépression, que leurs conjoints. "Les femmes demanderaient
plus dans une position de faiblesse et les hommes refuseraient ces demandes
dans une position de force qui provient en partie de leur contrôle
des ressources économiques", résume Lyse Turgeon.
Si ce scénario est véridique, le pouvoir conjugal devrait constituer un élément permettant de prédire le retrait des hommes lors d'une situation de conflit. Afin de tester cette hypothèse, les chercheurs ont recruté 132 couples au hasard et les ont invités à compléter des questionnaires portant sur la prise de décision (achat d'une voiture ou d'une maison, éducation des enfants, tâches ménagères, relations sexuelles, choix des sorties ou des destinations vacances), sur le pouvoir conjugal (dépendance économique et affective, amour, sacrifices, carrière, etc.) et sur la communication en situation de conflit. L'âge moyen des participants était de 35 ans et la durée de vie commune de 11 ans. Les données recueillies confirment le lien entre le retrait de l'homme et la détresse conjugale de même que les rôles spécifiques que les femmes et les hommes adoptent. Par contre, le pouvoir des hommes dans le couple ne permet pas de prédire un comportement de retrait.
Le cercle du pouvoir
"Ou bien mon hypothèse sur le pouvoir des hommes n'a rien à
voir dans l'affaire ou notre outil de mesure du pouvoir conjugal n'est pas
suffisamment sensible", conclut Lyse Turgeon. Son expérience
personnelle auprès des couples la fait cependant pencher vers la
seconde hypothèse. "J'essaie d'être impartiale et objective
mais, en tant que femme, je suis toujours plus sensible à la réalité
de la femme dans un couple en difficulté."
D'autres facteurs ont déjà été proposés pour expliquer la fuite masculine. L'une d'elle suggère que les hommes ont une plus grande réactivité physiologique en situation de conflit. Cette "sensibilité" provoquerait une plus forte activation du système nerveux autonome, produisant des malaises physiques que les hommes tendent à éviter en fuyant les situations de conflit. D'autres facteurs tels que la peur de l'intimité, l'anxiété face aux conflits ou encore le conditionnement face aux critiques répétées de leur conjointe peuvent aussi contribuer à la fuite du mâle.
"Si on comprenait mieux comment s'installe la dynamique poursuite-retrait, on pourrait mieux aider les couples en difficulté à sortir de ce cercle vicieux et peut-être même à le prévenir", dit la chercheure qui travaille maintenant au Centre de recherche Fernand-Seguin à Montréal. Le but derrière ces recherches n'est pas de blâmer les hommes, insiste-t-elle. "Les deux membres du couple ont des habiletés à développer pour apprendre à mieux communiquer ensemble ... mais surtout les hommes."