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16 octobre 1997 ![]() |
...ni pour le plaisir de faire apprendre, découvrent les professeurs de l'Université du troisième âge.
Les 5 000 ans de civilisation égyptienne, l'histoire de l'art russe, le nationalisme dans le monde, l'introduction à la philosophie des profondeurs, la morale vue par Épicure, Zénon et Aristote. Cette liste non exhaustive de quelques cours suivis par des étudiants du troisième âge se situe loin de l'image traditionnelle des aînés passant leur journée entre un bingo et une partie de cartes. Les inscriptions à l'Université du troisième âge, qui dépend de la Direction générale de la formation continue, connaissent d'ailleurs une explosion sans précédent puisque 2 704 étudiants se sont inscrits en septembre 1997. Il y en avait 800 en 1993. Les professeurs de l'Université Laval ou d'autres établissements qui enseignent à ces personnes de plus de 50 ans apprécient particulièrement la qualité d'écoute et les expériences de vie d'un public souvent assoiffé de connaissances.
Depuis cinq ans qu'elle aide des aînés à rédiger leur "mémoire de vie" en apportant des conseils ou en expliquant des techniques littéraires au sein d'un atelier d'écriture, Ludmilla Beauvais éprouve beaucoup d'admiration pour la génération née avant-guerre. "J'apprends beaucoup avec eux sur la vie très dure qu'on menait autrefois au Québec, et je suis toujours surprise par le fait qu'ils aient conservé un moral d'acier à travers toutes ces épreuves, remarque la linguiste. Malgré des existences souvent difficiles, il est très rare que dans leurs textes ils s'apitoient sur eux-même."
Des questions pertinentes
Le potentiel impressionnant de ces étudiants sur le tard stimule
cette professeure car elle a tout le loisir de leur apporter des connaissances
qui les nourrissent. "Ils travaillent mieux et s'impliquent d'avantage
dans leurs travaux que des étudiants dans la vingtaine qui croient
tout savoir", précise Ludmilla Beauvais. "Leurs questions
vont plus en profondeur car elles ne reposent pas seulement sur l'examen
à venir comme chez les plus jeunes", indique de son côté
Urbain Blanchet, professeur invité à la Faculté de
musique. Cet enseignant, lui-même partiellement à la retraite,
retrouve ainsi des auditeurs fidèles, pour qui ces rencontres sur
les liens qu'entretient la musique avec une autre forme d'art dépassent
le simple cours et deviennent la principale sortie culturelle hebdomadaire.
Des étudiants très cultivés
Lorsqu'il évoque les destins mêlés de Georges Sand et
de Chopin ou les liens unissant la peinture et la musique dans les Flandres,
Urbain Blanchet ne peut que constater, également, l'écart
de culture entre un public souvent mélomane de longue date et de
jeunes étudiants moins expérimentés. Un constat que
fait aussi le politologue Louis Balthazar lorsqu'il déclare qu'"avec
les jeunes, un événement vieux de dix ans semble parfois remonter
au XVIIIe siècle." Avec le public du troisième âge,
l'enseignant découvre le plaisir d'éclairer, sous un jour
nouveau, un incident que ses étudiants plus âgés n'avaient
pas remarqué sur le moment.
"J'ai éprouvé le besoin de m'adresser à un auditoire du troisième âge en constatant l'intérêt que suscitaient chez ce public les cours télévisés que je donnais il y a quelques années, précise Louis Balthazar. Pour un verbomoteur comme moi, c'est très relaxant de donner ces cours, quelque peu débarrassés du cadre théorique et plus collés à la vie du citoyen, sans examens ni copies à corriger." Louis Balthazar pense d'ailleurs à aller un peu plus loin avec un public âgé d'avantage aguerri en mettant sur pied des séminaires d'étude.
Certains professeurs profitent par ailleurs de l'expérience avec les aînés pour affiner leur approche pédagogique auprès des étudiants du cycle régulier. Ainsi, Chantale Masson-Bourque, qui dirige le Choeur des aînés, a découvert au fil des ans que certaines techniques ou stratégies se tranféraient assez aisément d'un groupe à l'autre. "Tout appel à la sensibilité tactile fonctionne très bien avec les chanteurs plus âgés qui parviennent assez facilement à "écouter" avec leur peau, constate la professeure de l'École de musique. Je travaille donc d'avantage cette approche avec les jeunes, moins attentifs à cet aspect de l'écoute."
Par ailleurs, la vitalité des jeunes chanteurs et la "lenteur" des aînés équilibrent son enseignement, puisqu'elle se découvre d'une part une plus grande patience, mais suggère aussi des exercices de tonicité à son choeur plus âgé. "Grâce à mon expérience avec les aînés, je peux imaginer les perspectives de développement de la voix des musiciens plus jeunes, précise la professeure de chant choral.
D'autre part, je sensibilise mes musiciens en formation à la diversité de capacité d'audition du public, car tous les spectateurs n'ont pas forcément des oreilles de vingt ans." Donner des cours à l'Université du troisième âge enrichit donc le bagage pédagogique de Chantale Masson-Bourque, une opportunité offerte à d'autres enseignants qui souhaitent se lancer eux aussi dans l'aventure. Avis aux amateurs!