21 août 1997 |
IDÉES
PAR CLAUDE BARITEAU,
PROFESSEUR AU DÉPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE
En vue du prochain référendum, six dossiers majeurs pour rassembler les Québécois derrière leur premier ministre.
À la clôture de la session parlementaire, le premier ministre Bouchard a signalé l'urgence de mieux définir le partenariat proposé au dernier référendum et de revoir d'ici peu d'autres sections du programme de son Parti.
J'en suis. Au préalable, il importe de se rappeller que la question du Québec et des francophones se pose en lien avec la scène internationale. Ce fut le cas en 1760, en 1774, en 1791, en 1834-36, en 1867, en 1940 et en 1970. C'est encore le cas en 1990. En fait, cette question y trouve son sens et sa portée depuis toujours.
D'ailleurs, l'approche des Britanniques à l'égard du Québec,
puis celle des Canadiens, a simplement consisté à l'lnfléchir
en fonction de leurs intérêts respectifs. Il s'ensuivit la
minorisation des francophones. La Révolution tranquille visait à
la combattre. L'élan impulsé a débouché progressivement
sur le renforcement de l'idée d'indépendance. Le gouvernement
Trudeau y a contribué avec le coup de force de 1982. Ont fait de
même les échecs de Meech et de Charlottetown mais aussi la
création récente d'entités supranationales et l'apparition
de nouveaux pays.
"Je ne peux imaginer cet homme,
que j'admire,
suivre les traces de Robert Bourassa."
Aujourd'hui, le Canada s'ajuste aux changements en cours sur la scène internationale. Il modifie ses politiques économiques, sociales et culturelles. Ses objectifs : se départir de pouvoirs secondaires et conserver les nouveaux secteurs stratégiques dont ceux que le Québec estime vitaux pour son propre développement.
Le Canada a toujours agi de la sorte. À chaque fois, il recherche la complicité du Québec. Si ses dirigeants la lui refusent, ils deviennent ses ennemis. Ce fut le cas des Patriotes. C'est aujourd'hui celui des promoteurs de l'indépendance. Le problème, c'est que plusieurs souverainistes s'imaginent mal en ennemis et ont une propension à la complicité.
À cet égard, redéfinir le projet de partenariat indépendamment de l'idée d'un Québec souverain ouvrira la voie à une nouvelle complicité. C'est une approche piégée. Les souverainistes doivent plutôt démontrer que l'indépendance du Québec sera un " plus " pour le peuple québécois, ce qui n'est pas difficile. Depuis Expo-1967, plus de soixante pays ont vu le jour dont une trentaine ces dernières années. Il doit bien y avoir des exemples convaincants.
Sur ce point, je rappelle que Michel Bélanger, le président du camp du NON en 1995, considérait l'indépendance économiquement viable. Sa crainte était des coupes éventuelles dans les programmes sociaux. Toujours province canadienne, le Québec dut s'y astreindre, pressé en cela par les coupures du gouvernement fédéral et le laxisme des gouvernements Bourassa et Johnson. Ce faisant, des ajustements aux politiques sociales se sont imposés. Le Québec n'a toutefois pas renié sa philosophie sociale. Il s'est surtout placé dans une position avantageuse à l'égard des organismes financiers internationaux.
Je rappelle aussi que la souveraineté octroie des marges de manoeuvre beaucoup plus grandes que celles d'une simple province. Il faut mettre cela en relief. Du coup, la souveraineté comme cible ressortira avec force. Et le partenariat prendra alors son véritable sens, soit celui d'amplifier le " plus " associé à l'indépendance si le nouveau Canada y trouve un avantage. Dans ce dossier, il m'apparaît impensable que le Québec abandonne les outils qui consolident la souveraineté au moment où il les a en main et refuse, par un tel geste, de participer de plein droit à l'ALENA.
Si ce dossier doit être abordé en lien avec le projet de souveraineté, il n'est pas le seul. Au moins cinq autres méritent une attention : 1) une définition québécoise d'une culture politique commune ; 2) l'élaboration d'un projet de société ; 3) une " québécisation " de l'épargne, surtout de l'épargne-retraite ; 4) la dynamisation de l'économie du Québec avec ses multiples liens externes ; 5) le processus d'accession à l'indépendance, en particulier les exigences d'une reconnaissance internationale et les prétentions des partitionnistes.
J'ai développé celui d'une conception civique du Québec dans L'Action Nationale de septembre 1996. Une telle conception s'impose dans un univers multiculturel et pluriethnique, ce qu'est le Québec. En avril 1997, Gérard Bouchard a soutenu dans cette même revue qu'un " véritable projet de développement collectif (...) est indispensable pour une nation qui entend intégrer et mobiliser ses citoyens autour de valeurs communes ". Il s'agit d'une idée fondamentale dont il faut préciser rapidement les contours.
Les autres dossiers sont aussi en chantier. Celui de l'épargne, dont l'épargne-retraite, l'est grâce aux révélations de Rosaire Morin de L'Action Nationale. Déjà apparaissent ici et là des fonds québécois. Et puis, un peu partout, les responsables des caisses de retraite réexaminent leurs portefeuilles de placement. Mais il faut aller beaucoup plus loin en s'inspirant des politiques de placement des pays européens plutôt que des pratiques états-uniennes prisées par le ministre des Finances.
Ce dossier est le nerf de la guerre. Investir hors Québec via les mécanismes actuels de pompage de l'épargne et obtenir des dégrèvements d'impôt révèlent l'ineptie des gouvernements du Québec depuis 1983-84. Ce dossier n'est pas indépendant d'une dynamisation de l'économie québécoise selon nos intérêts et nos priorités. À mon avis, cette dynamisation passe par une ouverture au monde bien articulée aux avantages qu'offre l'économie québécoise. En cette matière, il importe plutôt de trouver les moyens pour éviter d'être soumis aux seules forces financières internationales.
Quant au processus d'accession à l'indépendance, il est urgent d'en baliser clairement les modalités en s'inspirant des cas les plus récents. Dans ce dossier, l'improvisation doit être bannie. Mais un scénario bien défini ne suffira pas. Il faut que le gouvernement conçoive tous les éléments stratégiques et toutes les modalités propres à chacun d'eux. La création d'une armée québécoise, celle d'une monnaie, le contrôle des frontières et les façons de contenir les pressions partitionnistes ne doivent surtout pas être négligés.
Dans un processus d'accession à l'indépendance, il n'y a pas de solution magique. Un facteur est cependant déterminant : le niveau de conscience de la population. Les débats autour de ces cinq dossiers l'activeront. Mieux, ils favoriseront un rassemblement des Québécois. Ce sera la meilleure garantie contre les pressions venant du Canada en vue de contrer la reconnaissance du Québec aux Nations unies.
Esquiver ces débats et concentrer la réflexion uniquement sur le partenariat amèneront Lucien Bouchard à franchir les premiers pas qui le sortiront de l'histoire. Je ne peux imaginer cet homme, que j'admire, suivre les traces de Robert Bourassa. Aussi, doit-il accepter de vivre avec l'idée d'être un ennemi d'ici l'indépendance du Québec. Après, ce sera une tout autre histoire.