7 novembre 1996 |
Ce n'est pas d'hier que la ville de Champlain séduit les touristes en mal d'exotisme et de patrimoine
Chaque saison, des centaines de milliers de visiteurs déambulent dans le Vieux-Québec, attirés par le site et la réputation de Québec, ville patrimoniale. Cet engouement pour la seule cité fortifiée en Amérique du Nord ne date pas d'hier: pendant l'été de 1928, par exemple, plus de 500 000 touristes américains ont visité Québec et près de 6 millions de dollars ont été injectés dans l'économie de la ville.
C'est ce que révèle Marine Geronomi dans son mémoire de maîtrise intitulé: "Le Vieux-Québec au passé indéfini. Entre patrimoine et tourisme". Dans cette étude supervisée par Luc Bureau, du Département de géographie, la chercheuse analyse l'évolution du paysage du Vieux-Québec, à travers les discours des guides touristiques du XIXe siècle et du début du XXe. Dans son guide rédigé en anglais en 1831, James Patterson Cockburn préconise ainsi un circuit dont la pièce maîtresse est la Citadelle, à la fois pour sa réalisation grandiose mais aussi pour la vue qu'on découvre du haut de ses fortifications.
"L'étrange beauté médiévale des paysages du Vieux-Québec, le pittoresque des rues étroites et en pente, la vue magnifique sur le Saint-Laurent sont les cararactéristiques principales sur lesquelles s'accordent les riches touristes américains et les prestigieux voyageurs européens, note Martine Geronimi. À cette époque, Québec constitue en effet un lieu de consommation romantique pour un tourisme d'élite qui ira en se démocratisant"
Un château fort
Après 1850 cependant, Québec ne se "lit" plus en
fonction des fortifications, celles-ci n'ayant plus aucun rôle déterminant
dans l'urbanisme de la ville. Les circuits des années 1880 consacrent
la Terrasse Dufferin comme lieu panoramique par excellence et la citadelle
passe en arrière-plan. De la porte Saint-Jean en remontant jusqu'à
l'esplanade et la citadelle, le touriste retourne par la rue Saint-Louis
pour se consacrer à la visite des églises et d'institutions
culturelles comme l'Institut Canadien. Il est ensuite invité à
se rendre sur la Grande-Allée pour voir l'Hôtel du Parlement
et le Manège militaire. En 1895, le Chamber's Guide consacre cinq
pages au Château Frontenac, inauguré en décembre 1893,
tout en le baptisant "The finest hotel in the World".
En comparant l'édition de 1907 à celle de 1922 du guide Baedecker, célèbre pour son excellente cartographie, on peut mesurer les changements apportés dans la ville, rappelle Martine Geronimi: l'aménagement du Parc Victoria, celui du Parc des Champs de bataille en construction depuis 1908, l'extension des quais du bassin Louise, les modifications du cours de la Rivière Saint-Charles ou l'extension du Séminaire à la Haute-Ville. Les touristes les moindrement habiles à lire un plan sont capables de se diriger et de découvrir seuls la ville sans avoir à suivre un circuit contraignant et obligatoire. Selon la chercheuse, le demi-million de touristes qui défilent chaque été dans les années 1920, à la recherche de la ville romantique et médiévale, sont en présence, en réalité, d'une ville au style éclectique qui n'a de médiévale que l'apparence, dominée par la silhouette du Château Frontenac. La Basse-Ville, secteur place Royale, est alors un quartier commerçant et animé.
Une ville de rêve
"Les touristes amateurs de rues pittoresques et du site où Montgomery
est mort se risquent jusqu'à la rue Sous-le-Fort ou la rue du Petit-Champlain
, jusqu'à l'église Notre-Dame- des -Victoires mais la plupart
se limitent à la Haute-Ville, affirme Martine Geronimi. Une fois
leur visite terminée, ils repartent vers leur Amérique moderne
pleine de stress, emportant avec eux l'image d'un haut lieu pittoresque
et unique en Amérique du Nord."
Aujourd'hui, remarque-t-elle, le cachet français et la tradition de la langue attirent toujours les touristes américains mais en moins grand nombre. En revanche, le titre de joyau du patrimoine mondial attire des nouveaux touristes comme les Japonais. Les Français, eux, sont de plus en plus nombreux à visiter Québec, attirés non seulement par l'histoire mais aussi par l'intéressant taux de change prévalant au Canada. Comme les touristes d'hier, les touristes d'aujourd'hui viennent consommer un spectacle, nostalgiques de ce "passé indéfini", de cet ailleurs perdu qui n'a peut-être de sens - et de réalité - que dans leur propre esprit.