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11 avril 1996 ![]() |
La désormais célèbre boutade: «Vaut mieux être
riche et en santé que pauvre et malade.», de l'humoriste Yvon
Deschamps, demeure aujourd'hui encore d'une actualité fort criante.
C'est ce que sont venus nous rappeler Louis O'Neill et Vivian Labrie, le
jeudi 28 mars, lors d'un débat-midi organisé par le Service
de pastorale de l'Université Laval, dans l'agora du pavillon Alphonse-Desjardins,
à l'occasion de l'Année internationale pour l'élimination
de la pauvreté.
Possédants et dépossédés
Drôle de triste planète que celle d'une minorité privilégiée
fort peu préoccupée par la pauvreté des masses. On
compterait ainsi 358 personnes qui détiendraient des fortunes personnelles
atteignant les 762 milliards de dollars, soit l'équivalent du revenu
de 45 % de la population mondiale, a révélé Louis O'Neill,
citant le Forbes Magazine de juillet 1994.
«Et que reste-t-il aux pauvres?», s'est interrogé le professeur
d'éthique sociale à la Faculté de théologie.
«Un milliard d'êtres humains survivent avec un dollar par jour
et trois miliards de personnes vivent avec un peu plus de deux dollars par
jour. Cette injustice dans la répartition de la richesse tend à
augmenter», a-t-il répondu aussitôt en puisant dans la
revue DIAL du 15 janvier 1996.
Les deux Québec
Le Québec n'échappe pas, lui non plus, aux effets d'un capitalisme
néo-libéral dont les structures engendrent la pauvreté,
où «le sous-développement des uns est la conséquence
du développement des autres», indiquera Louis O'Neill, reprenant
l'expression de Vincent Cosmao.
«Le problème, ce n'est pas d'avoir un Québec pauvre.
Nous n'avons pas un Québec pauvre, mais deux Québec dont un
est pauvre», renchérira Vivian Labrie, du Carrefour de pastorale
en monde ouvrier de Québec, qui a été membre du Comité
externe de réforme de la sécurité du revenu du Québec,
coprésidé par Camil Bouchard et Pierre Fortin.
Le thème du débat-midi, «Un Québec pauvre avec
ça? Non merci!», lui a d'ailleurs permis de brosser un sombre
tableau de la situation chez nous. «Ce n'est pas la pauvreté,
le problème, mais la somme des égoïsmes et des indifférences
qui font qu'elle existe dans une société d'abondance, où
le revenu moyen des ménages est de 45 000 $ par an», a-t-elle
insisté.
Selon elle, il faut refuser la misère. Pour ce faire, chacun doit
notamment engager concrètement son porte-feuille, son temps, sa solidarité,
voire développer sa sensibilité, apprendre à détecter
ce qui génère l'exclusion et les inégalités.
Au Québec, en ce moment, le verre est à moitié plein
et à moitié vide, d'imager Vivian Labrie. On ressent en même
temps la tentation de l'économie qui divise et l'appel de l'économie
solidaire.
L'utopie, ou la volonté du réalisable
Vouloir éliminer la pauvreté dans le monde peut paraître
utopique, mais vouloir le faire sans questionner les mécanismes générateurs
de pauvreté, c'est encore plus utopique, a soutenu pour sa part Louis
O'Neill. C'est du reste à cet exercice d'identification et de dénonciation
qu'il s'est livré, pointant du doigt ici la pauvreté féminine
(«Les femmes accomplissent deux tiers du travail manuel dans le monde
et retirent 10 % des retombées.»), là l'asservissement
des pouvoirs politiques (donc, des collectivités) aux diktats du
capitalisme financier, menant à l'«esclavage pour dettes».
«Le prestige de l'idéologie néo-libérale et de
ses règles de conduite (compétitivité, concurrence,
libre marché sans frein, etc.) nous fascine au point que nous évitons
de soulever des questions sur les rapports entre le capitalisme sauvage
et la croissance de la pauvreté dans le monde», a-t-il déploré.
Louis O'Neill voit dans l'éradication de la pauvreté une utopie
créatrice, car elle encourage à croire qu'on peut faire quelque
chose pour améliorer la condition humaine. Livre lumineux, la Bible
l'a même éclairé sur une des voies du possible. «À
l'aube de l'an 2000, année jubilaire par excellence, il serait tout
à fait approprié de relire ce que raconte le Lévitique
au sujet de l'année jubilaire (chapitre 25, 8-55), un temps de grâce
où l'on proclamait l'extinction des dettes, le rachat des propriétés
et l'abolition de l'esclavage pour dettes. Il y a là une indication
intéressante qui peut nous inspirer dans notre recherche de solutions
visant à éliminer la pauvreté», croit-il.