11 avril 1996 |
Au début de leur mariage, Jacques, enseignant, et Louise, secrétaire,
n'avaient pas de dettes. Après quelques mois de parfait bonheur marqués
par la naissance de leur premier enfant et l'achat d'une maison, une tuile
leur tombe sur la tête: Jacques perd son emploi. Pour combler ce trou
imprévu dans leur budget, le couple a recours à l'achat à
crédit, un régime de vie qui dure 18 mois, jusqu'à
ce que Jacques trouve un nouveau poste. Le couple a ensuite un deuxième,
puis un troisième enfant, et Louise cesse de travailler. Encore une
fois, les fins de mois se transforment en cauchemars financiers et la résidence
doit être vendue pour payer les dettes accumulées. Lorsque
la situation semble se rétablir, ils achètent à nouveau
une maison dans un quartier plus modeste mais encore une fois, ils éprouvent
d'énormes difficultés à boucler leur budget. En désespoir
de cause, ils cherchent de l'aide auprès d'une association de protection
du consommateur où un conseiller analyse leur situation et leur explique
qu'ils vivent au-dessus de leurs moyens, ce qu'ils refusent d'admettre.
La situation de Jacques et Louise n'a rien d'exceptionnel. Au Québec,
entre 1983 et 1992, le volume du crédit à la consommation
et celui du crédit hypothécaire triplaient, atteignant respectivement
23 milliards et 51 milliards de dollars. Pendant la même période,
le nombre de faillites personnelles grimpait de 7 561 à 16 632. «Ceci
n'est que la pointe de l'iceberg parce que ces données ignorent les
cas réglés par la vente d'actifs ou la consolidation de dettes»,
dit Gérard Duhaime, professeur au Département de nutrition
humaine et de consommation, qui vient de publier deux études sur
le problème du surendettement des ménages.
Dans la tourmente de la dette
Afin de mieux comprendre ce qui se cache derrière ces statistiques
alarmantes et de déterminer comment des personnes se font emporter
dans la tourmente du surendettement jusqu'à en être éjectées
par la faillite, Gérard Duhaime a reconstitué l'histoire de
49 ménages surendettés de diverses régions du Québec.
«Les résultats de l'étude confirment la conception populaire
voulant que l'endettement soit un cercle vicieux auquel il est difficile
d'échapper, dit le chercheur. Les gens se rendent compte de leur
situation mais l'interprétation qu'ils en font voile la réalité
et les porte à croire qu'ils ne peuvent pas faire grand chose pour
s'en sortir.»
Les ménages surendettés sont ceux qui, après avoir
fait appel au crédit à la consommation ou au crédit
hypothécaire, ne parviennent à rembourser qu'une partie de
leurs dettes. L'étude révèle que le surendettement
répond à un cycle allant le plus généralement
d'une période d'accumulation de dettes non problématique à
une situation d'endettement non contrôlé, suivie d'une période
de rémission puis d'une nouvelle période d'accumulation, et
ainsi de suite. Le phénomène dépend à la fois
d'une chaîne d'événements économiques et de la
représentation que le ménage se fait de sa situation. «Une
personne surendettée passe d'une situation où elle s'explique
de manière adéquate les événements qui marquent
sa trajectoire, ses propres comportements et ses responsabilités
à une autre où elle en est incapable. Pour la plupart des
surendettés, l'augmentation des revenus est considérée
comme la seule issue au problème.»
Heureusement, il y a de l'espoir. «En général, les surendettés
ne savent pas pourquoi ils n'arrivent pas et ils sont tellement convaincus
qu'il n'y a rien à faire qu'ils ne tiennent pas sérieusement
de budget. Ils ont besoin d'aide et ils la trouvent le plus souvent dans
des associations de protection de consommateurs telles que les ACEF. La
plupart d'entre eux ont une surprise extraordinaire lorsqu'un conseiller
leur explique leur situation financière et leur suggère des
moyens de moins dépenser.»
Quatre types de surendettés
Gérard Duhaime a identifié quatre grandes catégories
de surendettés dans le cadre de son étude. Il y a d'abord
les Vulnérables, victimes de tous les malheurs, peu scolarisés,
instables en emploi, qui se font fréquemment rouler dans leurs transactions
commerciales et en font porter le blâme sur leurs proches. Vulnérables
aux attraits de la consommation, ils empruntent à tous vents.
Deuxième catégorie, les Malchanceuses, des femmes qui perdent
leur conjoint à la suite d'un accident, d'une maladie ou, le plus
souvent, d'un divorce. Victimes des événements, elles subissent
une perte de revenus ou doivent assumer des dépenses inattendues
qui viennent déséquilibrer leur budget. Elles recourent au
crédit pour se maintenir à flot mais s'enlisent rapidement
dans les dettes.
La troisième catégorie, les Parvenus, proviennent de famille
aisée et cherchent à se conformer à l'image exigeante
qu'ils se font de la réussite sociale. Ils ajustent leur consommation
à ce qu'il croit être la norme de leur milieu et ils ont recours
à tous les mécanismes de crédit pour y parvenir. Enfin
les Compulsifs ont un problème dans leurs rapports à la consommation.
Tout comme des joueurs pathologiques qui ne peuvent résister au jeu,
les Compulsifs ressentent le besoin irrépressible d'acheter tout
ce qui se vend.
«Évidemment, il faudrait valider cette typologie avec un échantillon
plus vaste de personnes, admet Gérard Duhaime, mais elle tient compte
de l'ensemble des connaissances et des facteurs explicatifs du surendettement».
Selon le chercheur, les conseillers en économie familiale pourraient
utiliser cette typologie pour bien identifier le profil des surendettés
qui les consultent. «Tout comme la situation de la famille, du couple
et de l'emploi, c'est l'une des variables psychosociales qu'il faut considérer,
en plus du bilan financier, dans la recherche de solutions adaptées
à chaque personne.»