2 mars 1995 |
NATIONALISME ET D�MOCRATIE, UN MARIAGE IMPOSSIBLE?
Souverainistes mous s'abstenir: le dernier ouvrage de Jean-Pierre Derriennic ne fait pas dans la dentelle pour attaquer l'argumentaire de la �s�paration de velours�.
L'ind�pendance est-elle soluble dans la d�mocratie? Voil� une des questions que le lecteur pourrait se poser apr�s avoir referm� l'ouvrage de Jean-Pierre Derriennic, Nationalisme et d�mocratie, r�flexion sur les illusions des ind�pendantistes qu�b�cois, qui vient de para�tre aux �ditions Bor�al. Dans son essai, le professeur au D�partement de science politique manipule ces deux notions, le nationalisme et la d�mocratie, comme des �l�ments chimiques qui la plupart du temps ne peuvent se m�langer, tout comme l'huile ne se m�le pas � l'eau demeurent dans l'�prouvette. En s'appuyant sur des exemples historiques, l'Alg�rie, la Norv�ge ou tr�s contemporains, la Bosnie, la Slovaquie, l'auteur d�montre sans coup f�rir qu'il vaut mieux renoncer � l'ind�pendance lorsque la question ne fait pas l'unanimit� parmi les habitants du pays et risque de provoquer de graves scissions.
Jean-Pierre Derriennic ne se cache ni derri�re des �tudes �conomiques alarmistes, ni derri�re des arguments forg�s par d'illustres politiciens pour appuyer sa th�se. Il constate simplement que les motifs qui ont pouss� d'autres pays � se s�parer d'un �tat au cours du si�cle �coul� n'existent pas au Qu�bec. Ainsi, selon lui, certains peuples comme les Alg�riens ont d�cid� de d�clarer leur ind�pendance du fait du caract�re profond�ment in�galitaire de l'empire colonial qui les consid�rait comme des citoyens de seconde zone. D'autres, comme les habitants des �tats baltes ont voulu s'�chapper d'un r�gime sovi�tique qui ne garantissait pas leur s�curit�.
Touchez pas � mes fronti�res!
Les nationalistes ne peuvent invoquer aucune de ces raisons puisqu'ils participent � la vie des institutions canadiennes sur le m�me pied d'�galit� que les autres habitants du pays, et qu'ils ne doivent pas lutter contre l'opression d'une dictature. Enfin, l'auteur souligne qu'une �s�paration de velours�, � la sauce slovaque, rencontrerait des obstacles d�mocratiques. Les deux gouvernements, tch�que et slovaque, ont d�cid� en effet de se s�parer quelques mois apr�s la fin de l'URSS, sans m�me consulter leurs concitoyens. Jean-Pierre Derriennic soutient ainsi que �l'id�e de d�mocratie est aujourd'hui trop d�velopp�e ici pour que l'on touche aux fronti�res sans danger...�
Le professeur de science politique consid�re en effet que dans certaines conditions, comme par exemple l'ind�pendance, la loi de la majorit� cesse de constituer une r�gle absolue. Pour lui, les r�gles constitutionnelles doivent �tre plac�es hors d'atteinte de la d�cision du plus grand nombre en vertu de la continuit� du vote. Ainsi, la plupart des �lections, des changements de gouvernements ou de partis modifient peu l'�volution globlale d'un pays puisque les �lecteurs peuvent toujours se rattraper � la prochaine consultation. Par contre, dans le cas d'un referendum sur l'autod�termination on peut difficilement remettre le r�sultat en cause un an plus tard. �C'est une action terrible de se diviser et de se compter entre concitoyens�, remarque l'auteur qui craint que la dispute sur la citoyennet� ne cr�� des barri�res entre les groupes identitaires au Qu�bec.
Si la consultation ne constitue pas une c�r�monie de l�gitimation comme en 1962 o� plus de 90% des Alg�riens ont choisi de se s�parer de la France, mieux vaut s'abstenir de poser la question de l'ind�pendance, � en croire Jean-Pierre Derriennic. Si la majorit� des Qu�b�cois votaient en faveur de la s�paration, il resterait toujours 25 ou 45% des habitants du Qu�bec furieux de ne plus vivre au Canada. �Leur insatisfaction sera pour le nouvel �tat un probl�me plus grave que ne l'est aujourd'hui, pour le Canada, l'insatisfaction des ind�pendantistes qu�b�cois�, �crit l'auteur qui redoute l'apparition de minorit�s violentes soutenues par leurs communaut�s respectives de type IRA. Les conflits les plus graves risquent d'opposer les Qu�b�cois entre eux, sans parler des discussions interminables entre Qu�bec et Ottawa pour le partage des biens communs. Jean-Pierre Derriennic r�ve plut�t de groupements volontaires qui vivraient leur nationalisme � l'int�rieur d'un pays uni. Tout comme les catholiques et les protestants ont r�ussi en France � cohabiter ensemble.
Pascale Gu�ricolas