23 juin 1994 |
UNE HISTOIRE EN TROMPE-L'OEIL
Au si�cle dernier, les notables de Qu�bec ont souvent d�moli pour se refaire un pass� plus proche de leurs aspirations et de leurs go�ts esth�tiques.
Depuis quelques semaines, comme chaque �t�, des milliers de touristes
arpentent les trottoirs de la Vieille Capitale � la recherche d'un pass�
souvent oubli�. Les Europ�ens, essentiellement les Fran�ais, s'efforcent
de reconna�tre les traces laiss�s par leurs anc�tres de l'ancien r�gime.
De leur c�t�, les Am�ricains ou les Canadiens des autres provinces
s'extasient sur le <
Et si tous ces t�moignages du pass� n'�taient qu'illusions? Et si
quelques esprits malins avaient fabriqu� de toutes pi�ces une
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Selon Lucie Morisset, le besoin d'ancrer la jeune nation canadienne dans
le pass� remonte au si�cle dernier. � cette �poque, l'�crivain Fran�ois-
Xavier Garneau contribue � b�tir l'histoire du pays par ses textes,
tandis que les notables de Qu�bec tentent d'arrimer les �v�nements pass�s
aux immeubles. Cette histoire se concentre d'ailleurs alors autour des
deux h�ros de la conqu�te, les g�n�raux Montalm et Wolf. Et les ench�res
montent pour d�cider dans quelle maison le chef vaincu a expir� � la fin
de la bataille. Mais comme les dirigeants n'ont pas le recul n�cessaire
pour distinguer ce jeune pass� de leur pr�sent, ils commandent souvent
la destruction de ces lieux historiques d�labr�s et peu fonctionnels. En
lieu et place, un bel �difice moderne sort de terre, porteur d'une plaque
qui t�moignera de la pr�sence sur le site de personnages illustres. C'est
le cas, par exemple, de la Maison Montgomery, rue Saint-Louis.
Les notables s'efforcent �galement de pr�senter une belle image de leur
ville aux visiteurs qui d�couvrent la cit� par le fleuve. � l'occasion de
l'incendie du Palais �piscopal, dans la seconde moiti� du XIXe si�cle,
les architectes �rigent une s�rie de fausses fa�ades sur la C�te de la
montage, dont une piazza italienne construite en trompe-l'oeil. Et ils
baissent m�me de deux m�tres les murs des fortifications pour que les
voyageurs puissent d�couvir Qu�bec de plus loin.
� plusieurs reprises, cette volont� de se constituer une histoire proche
de leurs aspirations et de leurs go�ts esth�tiques pousse les �lites
locales � faire table rase du pass�. Ainsi, lorsque les militaires
quittent Qu�bec en 1871, Charles Baillarg�, ing�nieur et architecte, en
profite pour entreprendre un grand m�nage de printemps dans la ville. Les
vieilles fortifications ne r�sistent pas � ce vigoureux coup de balai.
Mais le Lieutenant gouverneur de l'�poque, un Irlandais influenc� par la
mode romantique europ�enne, temp�re l'�lan du fougueux moderniste. Il
demande � l'un de ses compatriotes de b�tir de nouveaux remparts de style
m�di�val, comme ceux qui prot�gent la cit� de Carcassonne dans le sud de
la France, et envisage m�me de cr�er un chemin de ronde pour pouvoir
faire le tour de Qu�bec. Les portes Kent, Saint-Louis et Saint-Jean,
orn�es de tourelles et de m�chicoulis, inaugurent donc le style ch�teau
� Qu�bec. Un style repris ensuite par exemple par le Canadien Pacifique
pour la construction de son c�l�bre h�tel, le Ch�teau Frontenac, ou par
les Ursulines qui ajoutent une petite tour � leur couvent en 1890.
Cette volont� de vieillir Qu�bec ou de l'inscrire dans une �poque bien
d�termin�e pousse Eug�ne-Etienne Tach�, un dilettante �pris d'histoire
fran�aise, � construire un man�ge militaire fa�on Renaissance avec des
contreforts et des meurtri�res en 1885. Il orne m�me la fa�ade
d'armoiries qu'il con�oit � partir du code h�raldique en vigueur. Sur sa
lanc�e, cet ardent francophile sculpte des blasons � Champlain et
Cartier de part et d'autre de l'entr�e du Palais de justice �difi� en
1883. Il en profite �galement pour d�corer le porche avec des armoiries
symbolisant chacune l'Ecosse, l'Irlande, l'Angleterre et la France car il
consid�re que la cr�ation du Canada repose sur ces quatre peuples
fondateurs. Tous ces ornements contribuent � donner un air de XVIe si�cle
� des monuments construits au XIXe si�cle.
De la m�me fa�on, Eug�ne-Etienne Tach� puise directement son inspiration
dans la traditon architecturale fran�aise, et en particulier dans la
conception du Louvre � Paris avant ses aggrandissements successifs pour
b�tir l'H�tel du Parlement, fa�on Second Empire. L'architecte ne suit
donc pas les normes en vigueur � cette �poque o� l'Am�rique du Nord cr�e
son propre style Second Empire, plus orn�, plus victorien, plus
�clectique que la version europ�enne.
Pour mieux se conformer � la tradition du Louvre et donner � Qu�bec une
identit� fran�aise, Eug�ne-Etienne Tach� d�cide �galement de placer les
statues de personnages illustres dans des niches le long de la fa�ade. En
mettant en valeur non seulement des religieux mais aussi des g�n�raux ou
des pionniers qui ont laiss� leur marque dans l'histoire. <
Pascale Gu�ricolas