27 octobre 1994 |
Id�es
sant�: l'�tat r�ve
en couleurs
par Jacques Roy, sociologue,
Centre de recherche sur les services communautaires
Toute r�flexion sur l'avenir du syst�me de sant� doit emprunter le d�tour de l'insertion des jeunes sur le march� du travail. Car sans un partage interg�n�rationnel de l'emploi, ce syst�me risque d'�tre compromis dans l'avenir.
Sous le feu des projecteurs, la lentille sera de nouveau fix�e sur le syst�me de sant�: un Forum national de la sant�, organis� par le gouvernement f�d�ral, tiendra une s�rie de consultations � travers le Canada � compter de la fin octobre. Il fait �cho � une longue tradition au Qu�bec qui, de colloques en congr�s, de symposiums en commissions d'enqu�te, n'a eu cesse d'ausculter le syst�me de sant� tout en jonglant avec l'id�e que des solutions collectives �limineraient les grands maux. L'�tat des connaissances dans la recherche sociale nous conduit � nuancer la port�e d'un tel enthousiasme.
S'il est un fait qui est de plus en plus reconnu, c'est l'influence extraordinaire exerc�e par des facteurs sociaux sur l'�tat de sant� des populations. La pauvret� par exemple: elle g�n�re des probl�mes de sant� mentale, contribue au d�veloppement de maladies chroniques et r�duit l'esp�rance de vie des gens. Ainsi, par exemple, les populations de quartiers d�favoris�s ont en moyenne une esp�rance de vie r�duite de 14 ans en comparaison � celles r�sidant dans des quartiers favoris�s.
Or, un quartier comme Saint-Henri � Montr�al �tait pauvre au d�but du si�cle et, malgr� le passage successif des �tats (dont l'�tat-providence) et d'une panoplie de d�put�s qui ont repr�sent� ce quartier, il est toujours �raide pauvre� avec les cons�quences que l'on conna�t sur le plan de la sant�.
La pauvret� est en nette progression chez les jeunes. En combinant d'autres facteurs sociaux (tels que l'isolement social, la dislocation des m�nages et la violence familiale) � la pauvret�, l'on obtient ainsi l'un des taux de suicide les plus �lev�s chez eux que parmi la population, ph�nom�ne qui, au reste, marque des gains. Comme la pauvret�!
La d�natalit�, la violence, le vieillissement acc�l�r�, le ch�mage structurel chez les jeunes ou l'�clatement des familles, sont �galement d'autres facteurs sociaux qui conditionnent la sant� et qui, � l'instar de la pauvret�, rel�vent d'ensembles sociaux complexes qui �voluent selon leur propre logique, souvent en distance du discours de l'�tat ou de son action. De fait, les tendances �volutives concernant ces ph�nom�nes sociaux sont relativement semblables d'un pays � l'autre en Occident et paraissent �chapper � l'emprise de l'�tat, � sa volont� d'en modifier la trajectoire.
Dans ce contexte g�n�ral, il appara�t pour le moins idyllique d'affirmer que l'�tat peut, s'il le veut, changer la carte de la sant� pour celle r�v�e en temps d'�lections ou � d'autres moments. Il est troublant de constater que non seulement les m�mes probl�mes se posent parmi les nations, mais que les solutions qu'adoptent les �tats sont de plus en plus le fait de mod�les universels, de politiques communes, ind�pendamment de leur id�ologie politique.
Ainsi, par exemple, un r�cent bilan comparatif international, r�alis� par Fr�d�ric Lesemann et Claude Martin (1993) aupr�s de huit pays industrialis�s (dont le Canada, la France, les �tats-Unis, l'Italie, ...) dans le secteur des politiques de sant� � l'endroit des personnes �g�es en perte d'autonomie, confirme que des pays tels que la Su�de et la Grande-Bretagne, qui logent aux antipodes sur le plan id�ologique et de l'organisation des services, se retrouvent aujourd'hui confront�s aux m�mes enjeux et adoptent progressivement une voie identique:
d�sengagement de l'�tat, privatisation des services, recours aux familles et aux communaut�s (hiss�es au rang de partenaires de premier plan de l'�tat dans les documents de politiques de sant�). Les diff�rences s'amenuisent, l'uniformisation des solutions s'installe � demeure.
Une parenth�se: le nouveau gouvernement p�quiste propose, parmi ses priorit�s en mati�re de sant�, de d�velopper mille places d'h�bergement par ann�e pour les personnes �g�es en perte d'autonomie. Cette orientation appara�t des plus surprenantes dans un contexte o� tous les pays tentent de r�duire leur taux d'h�bergement institutionnel en misant sur le d�veloppement d'un r�seau de services de soutien � domicile. Des pays tels que la France, l'Autriche, la Su�de, qui sont des soci�t�s plus vieilles que nous sur le plan d�mographique, ont d�j� effectu� un virage vers des services de soutien � domicile, afin de rencontrer les besoins des personnes �g�es et de pr�parer ainsi l'avenir. La recherche sociale que les regroupements de personnes �g�es au Qu�bec (Ages d'Or, AQDR,...) indiquent � l'�vidence la n�cessit� de prioriser le secteur du soutien � domicile. D'autant plus que le Qu�bec enregistre l'un des taux d'h�bergement institutionnel les plus �lev�s en Occident et qu'il accuse, du m�me souffle un retard quant � son r�seau de soutien � domicile sur la majorit� des provinces canadiennes et surtout en comparaison avec d'autres pays industrialis�s (principalement europ�ens).
Le Forum national de la sant� ne se penchera pas exclusivement sur les probl�mes de sant�, annonce-t-on; il s'int�ressera �galement � la question des co�ts, du financement des services de sant�. S'il est, sous cet angle particulier, une question qui interroge l'avenir du syst�me de sant�, c'est bien la dimension g�n�rationnelle.
D'un c�t�, on trouve les personnes �g�es qui sont, au Qu�bec, en v�ritable explosion d�mographique (par exemple, le groupe des 75 ans et plus s'accro�t dix fois plus rapidement que le reste de la population qu�b�coise) et qui exercent par leur nombre une pression sans pr�c�dent sur les services de sant� et leurs co�ts. De l'autre c�t� du pendule des �ges, on trouve les jeunes, de moins en moins nombreux dans la soci�t� par rapport aux g�n�rations pr�c�dentes, qui se voient trop souvent retarder l'acc�s au march� du travail et qui ne pourront couvrir la note du syst�me de sant� dans le contexte des politiques actuelles pour demain, dans l'avenir.
La collision entre ces deux groupes est in�vitable. Mieux vaut d�velopper aujourd'hui des strat�gies visant un dialogue et des formes de solidarit� interg�n�rationnelles. Parmi les avenues � privil�gier, les strat�gies visant une plus grande insertion des jeunes au march� du travail via notamment un partage du temps de travail entre les g�n�rations (formules de travail � temps partiel ou temps partag�, etc.) apparaissent de plus en plus incontournables.
Toute r�flexion sur l'avenir du syst�me de sant� doit emprunter le d�tour de l'insertion des jeunes sur le march� du travail, car, sans un tel partage g�n�rationnel, il risque d'�tre tout simplement compromis dans l'avenir.