17 novembre 1994 |
�thique en recherche
L'�re du soup�on?
Un politicien qui ne saurait pas mentir ferait-il long feu en politique?
Un homme d'affaires qui s'interdirait de tirer profit des failles du syst�me pour mettre des capitaux � l'abri ferait-il vieux os dans la jungle des affaires? Un avocat qui axerait sa pratique sur le triomphe de la v�rit� plut�t que sur l'acquittement de ses clients aurait-il une bien vaste client�le? �Dans notre soci�t�, le mensonge est institutionnalis�, permis et m�me accept�...sauf pour les chercheurs�, a d�clar� Serge Lariv�e, professeur � l'�cole de psycho-�ducation de l'Universit� de Montr�al et auteur du livre La science au-dessus de tout soup�on: enqu�te sur les fraudes scientifiques, alors qu'il s'adressait aux participants � la Journ�e du doctorat de l'�cole de service social, pr�sent� le 11 novembre sur le th�me ��thique et recherche�.
Chercheurs avec aur�oles recherch�s
Expert en d�veloppement de l'intelligence et en d�viance psychosociale chez les enfants, Serge Lariv�e s'int�resse depuis plusieurs ann�es � l'�thique et aux comportements d�viants des chercheurs universitaires. �Il semble qu'on consid�re que les chercheurs doivent faire montre d'une morale irr�prochable dont est �pargn�e le reste de la soci�t�. Peut-�tre consid�re-t-on que puisque notre travail consiste � trouver la v�rit�, nous devons �tre vertueux et au-dessus de tout soup�on. La soci�t� ne tol�re m�me pas que les chercheurs fraudent pour trouver la v�rit�. C'est une injustice par rapport aux crit�res par lesquels on juge le reste de la soci�t�, a-t-il poursuivi, � demi s�rieux.
En d�pit ou en raison des attentes �lev�es qu'on nourrit � son endroit, le monde de la recherche n'�chappe pas � la crise d'�thique qui secoue l'ensemble des soci�t�s occidentales. Les cas de fraudes scientifiques, loin d'aller en s'estompant, se succ�dent � un rythme inqui�tant . Et, alors qu'on a cru longtemps que la fraude �tait essentiellement un effet pervers de la logique du �publish or perish� sauvage pouss�e � l'extr�me, donc essentiellement un ph�nom�ne �tats-uniens, voil� qu'on lui d�couvre, presque �tonn�s, des noms et des visages bien qu�b�cois.
Les mauvaises intentions
Dans le merveilleux monde de la fraude scientifique, il y a les p�ch�s mortels et les p�ch�s v�niels, a caricatur� Serge Lariv�e. Les p�ch�s mortels sont des fautes graves et impardonnables, qui ne laissent planer aucun doute sur les mauvaises intentions de leurs auteurs. La liste comprend d'abord la fabrication de donn�es; le chercheur invente des donn�es de toutes pi�ces, qui vont le plus souvent dans le sens des attentes des th�ories en vogue, question d'�viter de soulever les doutes. Ensuite, le plagiat pur et simple; le chercheur emprunte des donn�es, des id�es ou des �crits, sans mention de la source. Finalement, la falsification de donn�es; le chercheur adapte ses donn�es ou leurs analyses de fa�on � les rendre conformes � ce qu'il voulait d�montrer.
�La falsification des donn�es est un ph�nom�ne excessivement courant en sciences humaines, pr�tend Serge Lariv�e. Quoi de plus simple que de changer la probabilit� d'une diff�rence statistique de .06 � .05? C'est l'enfance de l'art et �a porte peu � cons�quences puisqu'il n'y a pas de prix Nobel en sciences humaines et que, somme toute, notre domaine ne p�se pas bien lourd dans le Citation Index. Quand je pense � toutes les conclusions erron�es sur l'efficacit� des interventions psychosociales qui circulent � cause de �a, je suis boulevers�.�
Horreurs v�nielles
Si le syst�me permet de d�busquer la plupart des chercheurs qui commettent des fautes graves, il en va autrement pour les p�ch�s v�niels, les conduites qui entrent dans la zone grise qui s�pare l'acceptable de l'inacceptable. Ici, la liste des horreurs �num�r�es par Serge Lariv�e est longue. Certaines touchent les publications: omission volontaire de donn�es ambigu�s ou de celles r�futant des hypoth�ses, pr�sentation s�lective des r�sultats, auto-plagiat, r�f�rences erron�es ou incompl�tes d'�crits servant � appuyer une hypoth�se, recension s�lective de la litt�rature scientifique pour �viter de gonfler le Citation Index des concurrents, � l'inverse, abondante auto-citation ou citation de coll�gues-amis, etc. D'autres touchent les relations �tudiants-professeurs et professeurs-professeurs: utilisation des �tudiants comme cheap labor, embargo sur des r�sultats d'�tudiants infirmant les hypoth�ses du professeur, emprunts d'id�es par des coll�gues-arbitres charg�s de commenter des articles soumis pour publication ou d'�valuer des demandes de subventions de coll�gues, etc.
Des cr�ations collectives?
La question des signatures d'articles pr�occupe particuli�rement Serge Lariv�e. �Si la tendance actuelle se maintient, dans moins de cent ans, le nombre moyen d'auteurs par article atteindra 24 dans The Lancet et dans le New England Journal of Medicine. En plus, les incitations � publier sont tellement fortes que les chercheurs font des publications- salami en subdivisant leurs r�sultats entre plusieurs articles pour gonfler leur dossier de publication. Si �a continue, on va manquer de papier pour publier les 70 000 revues savantes qui existent dans le monde.� Qui doit signer et dans quel ordre? �Celui qui fait le travail? Celui qui paie pour le travail? Celui qui pr�te son nom prestigieux pour mieux faire passer l'article? On pourrait r�gler la question de fa�on cavali�re en disant que si quelqu'un ne peut expliquer � pied lev� le contenu de l'article, il ne doit pas le signer�, tranche Serge Lariv�e, reconnaissant du m�me souffle qu'une telle politique porterait un coup dur aux �tudes multidisciplinaires et qu'il n'existe pas de solutions simples � ce probl�me.
�L'id�al scientifique comporte des failles, c'est certain. Si les �tudiants-chercheurs ou les jeunes professeurs veulent d�noncer des choses qui leur paraissent inacceptables, ils seront exclus du syst�me. Si on veut r�former le syst�me et en d�noncer les abus, il faut compter sur les seules personnes qui sont vraiment en position de le faire: les professeurs titulaires.�
JEAN HAMANN
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