L’histoire ne fait plus recette à l’université depuis plus d’une décennie. Rien qu’au Québec, les effectifs ont chuté d’un tiers, soit la baisse la plus importante parmi les disciplines de sciences humaines. Conscients que cette chute a des répercussions directes sur leur offre de cours, les professeurs d’histoire prennent le phénomène à bras le corps. Martin Pâquet, professeur au Département des sciences historiques de l’Université Laval, et François-Olivier Dorais, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Chicoutimi, ont réuni leurs collègues des quatre coins de la province vendredi au Monastère des Augustines, à Québec. Le but, tracer un portrait de la situation, et surtout lancer des pistes de solution pour enrayer la baisse des inscriptions.
Les chiffres qui circulent dans les universités occidentales montrent que ce manque d’intérêt pour l’histoire dans les études supérieures n’a rien de localisé. Les États-Unis et l’Europe font face à la même situation. Selon les analyses menées ici et ailleurs, les étudiants auraient tendance à choisir des domaines d’études susceptibles de déboucher rapidement sur une profession. «Les disciplines jugées traditionnelles semblent être en décalage avec ce qui est important aujourd’hui dans la société», remarque François Guérard, professeur retraité de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui a analysé le phénomène du déclin québécois.
Sa collègue Magda Fahrni de l’UQAM abonde dans le même sens. Selon elle, le bas de taux de chômage au Québec n’incite pas à s’engager dans une filière dont on ignore les perspectives d’emploi immédiates. «Je remarque que de plus en plus de parents posent des questions aux portes ouvertes sur les débouchés de ce diplôme, note l’historienne. Il faut donc les convaincre des emplois variés qu’offre le baccalauréat.» Un site mis en place par la Société historique du Canada répertorie d’ailleurs des témoignages de diplômés. Ils expliquent travailler aussi bien dans la fonction publique que dans l’industrie des jeux vidéo ou dans des musées.
Formés à s’adapter à des milieux professionnels divers, les historiens auraient tendance cependant à se montrer trop discrets sur la place publique. Autrement dit, les étudiants du secondaire ignorent souvent qu’ils peuvent entreprendre des études dans ce domaine, surtout depuis que le programme d’univers social a absorbé le programme d’histoire il y a quelques années. «Il faut un changement de culture pour les convaincre qu’il est important d’investir dans les études du passé afin de comprendre le monde d’aujourd’hui», affirme Julien Goyette de l’Université du Québec à Chicoutimi. Une recherche dans les médias, effectuée récemment par son collègue Julien Prud’homme de l’Université du Québec à Trois-Rivières, montre d’ailleurs que peu d’historiens d’ici se prononcent sur des enjeux de société comme les migrations, la laïcité ou l’environnement. Des sujets où la perspective historique apporterait pourtant un éclairage intéressant.
Bien conscients des difficultés à surmonter, les historiens réunis au Monastère des Augustines veulent maintenant passer à l’offensive. «C’est la première fois qu’on dialogue entre collègues de différentes universités au Québec sur ce problème commun, analyse Martin Pâquet, qui dirige la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord à l’Université Laval. Nous allons mettre en place une table de concertation interuniversitaire pour avancer dans ce dossier.» Autre idée, lancée par les participants, resserrer les liens entre les programmes de sciences humaines des cégeps et les départements d’histoire des universités. Sans oublier de multiplier les prises de parole dans l’espace public. Le succès de la série L’histoire nous le dira, de l’historien Laurent Turcot de l’UQTR sur la chaîne Youtube, prouve l’intérêt pour une histoire décomplexée.