Dans quelle mesure les Québécois et les Canadiens s’inquiètent-ils de la distinction entre le vrai et le faux lorsqu’il s’agit de s’informer en ligne? Certaines sources potentielles d’informations trompeuses les inquiètent-elles davantage que d’autres? Des plateformes telles Facebook et Twitter devraient-elles bloquer des publicités politiques potentiellement trompeuses ou mensongères?
Ces questionnements bien d’actualité se trouvent au cœur du Digital News Report 2020 sur les Canadiens et la désinformation en ligne. Ce document vient d’être publié par le Centre d’études sur les médias (CEM) de l’Université Laval. Il s’appuie sur les données d’un questionnaire en ligne auquel ont répondu 2002 participants, dont 418 francophones, entre janvier et février 2020. Cette enquête, qui a aussi été menée dans 39 autres pays, a été réalisée par la firme de sondage YouGov pour le compte d’un groupe de recherche de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. Le CEM avait la responsabilité de l’analyse des données canadiennes et de la rédaction du rapport subséquent. Ce travail fut exécuté par Kamille Leclair, aujourd’hui étudiante à la maîtrise en géographie spécialisée en transport urbain à l’Université de Toronto, et par le coordonnateur aux opérations du CEM, Sébastien Charlton.
Première constatation: de 2018 à 2020, le pourcentage de répondants se disant préoccupés par la véracité des contenus en ligne est passé de 60, à 61 et à 65%. Dans l’ensemble des pays de l’enquête, ce pourcentage est aujourd’hui de 56%. Au Canada, 60% des francophones se disent préoccupés et 67% des anglophones.
«Je crois que l’augmentation de 61 à 65% est liée aux élections fédérales d’octobre 2019, explique Sébastien Charlton. Les élections sont toujours un moment qui peut s’avérer un déclencheur dans l’esprit des gens s’ils jugent que les plateformes politiques ont des aspects discutables. Je ne suis pas alarmiste face au 65% dans la mesure où je continue à croire que des gens n’acceptent pas tout. S’ils se disent préoccupés, c’est qu’il y a un enjeu derrière. On peut penser que cela correspond à une certaine méfiance. Ce n’est pas une mauvaise chose.»
Facebook et les francophones
Au mois d’août, le documentaire conspirationniste Plandemic: Indoctrination est devenu viral. Il n’en fallait pas plus pour que Facebook le retire de ses pages. Ce réseau social très populaire avait introduit auparavant certaines mesures pour limiter la propagation de fausses informations liées à la pandémie de coronavirus.
L’enquête révèle une différence significative entre les deux groupes linguistiques au Canada relativement à Facebook. Les francophones se disent préoccupés à 40% par la diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur cette plateforme, les anglophones à 35%. À l’échelle internationale, ce pourcentage baisse à 29%.
«D’une année à l’autre, soutient-il, les enquêtes que nous faisons montrent que l’utilisation de Facebook pour s’informer sur l’actualité est plus forte chez les Canadiens francophones que chez les anglophones, alors qu’il y a davantage d’anglophones que de francophones en proportion qui disent s’informer à même Twitter. Il reste que quand nous avions enquêté sur l’usage de Facebook dans le passé, les francophones étaient aussi plus portés à y partager des nouvelles et à interagir avec elles, en les commentant par exemple. On pourrait se demander si ça ne relève pas un peu de ce qu’on considère comme le caractère latin des Québécois. En tous les cas, on peut soupçonner que le fait de s’informer à partir d’un média social donné augmente les chances que l’on en remarque les limites et donc que celui-ci devienne une source de préoccupation.»
Orientations politiques, scolarité, tranches d’âge
Un autre aspect de l’enquête porte sur l’orientation politique des répondants. Soulignons que les répondants majoritaires sont au centre du spectre politique. La répartition va comme suit: 383 se situent à gauche, 273 à droite et 1016 au centre. Les réponses montrent que les participants qui s’identifient à la droite s’inquiètent avant tout des activistes (22%), des journalistes (15%) et des acteurs politiques au Canada (35%). Les répondants associés à la gauche politique, pour leur part, se préoccupent à 31% de l’information provenant des acteurs politiques canadiens et à 24% de l’information provenant des acteurs politiques étrangers.
De grands écarts s’observent en matière de scolarité depuis 2018. De 2019 à 2020, les détenteurs d’un diplôme d’études universitaires préoccupés par la distinction entre le vrai et le faux sur Internet ont vu leur nombre passer de 66% à 72%. Durant la même période, ceux qui n’ont pas de diplôme d’études secondaires ont vu leur nombre se maintenir à environ 50%. «Environ le quart des répondants ayant un niveau d’éducation faible ou moyen consomment leurs nouvelles principalement sur les réseaux sociaux, indique Sébastien Charlton. Ceux qui détiennent un diplôme universitaire ne sont que 16% à préférer cette source d’information.»
Environ les deux tiers des répondants adultes, peu importe leur tranche d’âge, se préoccupent de façon similaire de la véracité des contenus sur le Web. Parmi les réseaux Facebook, Twitter, YouTube, et parmi les sites ou applications d’actualités, les moteurs de recherche et les applications de messagerie, Facebook demeure la seule source davantage susceptible de préoccuper les 35 ans et plus.
Plus de 50% des répondants qui s’informent sur l’actualité souhaitent que les journalistes couvrent largement les déclarations potentiellement inexactes des politiciens. Chez les répondants de gauche, le pourcentage monte à 61%. Par ailleurs, 54% des répondants souhaiteraient voir les géants du Web bloquer les publicités politiques potentiellement trompeuses. À 36%, les répondants s’identifiant à la droite politique croient que les entreprises de technologie n’ont pas l’autorité de départager le vrai du faux. Elles ne devraient donc pas effectuer un tri dans les contenus politiques qu’elles affichent.
«Nous avons, dit-il, demandé aux répondants canadiens si les publicités de politiciens et partis politiques doivent être permises sur Facebook, Google et Twitter et les avis sont divisés: 43 % d’entre eux croient qu’elles devraient y être, et 44 % croient qu’elles ne le devraient pas. Les répondants de 55 ans et plus s’avèrent toutefois moins portés à les permettre, soit 36 % en faveur, 49 % en défaveur.»
Consulter l’intégralité du Digital News Report 2020 sur la désinformation en ligne au Canada (PDF)