Donner ses organes ou ne pas les donner lors de son décès? La question a refait surface le 21 novembre à l’Assemblée nationale, alors que la ministre de la Santé Danielle McCann a refusé d’étudier le projet de loi présenté par un député libéral sur la réforme du don d’organes. Ce projet de loi voudrait que tous les Québécois d’âge adulte soient présumés consentants au don d’organes plutôt que l’inverse, comme c’est le cas actuellement. Dans ce contexte, la journée ayant pour thème «Histoires de cœur», organisée par la Communauté de recherche interdisciplinaire sur la vulnérabilité (CRIV) en collaboration avec la Faculté des lettres et sciences humaines et la Faculté des sciences infirmières, ne pouvait mieux tomber.
«Selon des statistiques récentes, environ 90% des Canadiens sont favorables aux dons d’organes. Environ 50% d’entre eux ont pris la décision de donner leurs organes après leur décès. Au Québec, en 2018, 805 personnes étaient en attente et 451 avaient été transplantées», a révélé Frédéric Douville, professeur adjoint à la Faculté des sciences infirmières. Si apposer l’autocollant sur sa carte d’assurance maladie témoigne de l’intention de consentir, le geste n’a pourtant aucune valeur légale. En effet, pour s’assurer que ses vœux soient respectés, la personne doit s’inscrire au registre de consentement aux dons d’organes et de tissus de la régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ou au registre de la Chambre des notaires. Encore là, la famille peut refuser de consentir, et ce, même si les registres ont une portée légale, précise Frédéric Douville. D’où l’importance pour le donneur potentiel d’exprimer ses volontés de son vivant – il va sans dire – et d’avoir des discussions franches avec sa famille sur le sujet. La personne pourra alors exprimer les raisons qui l’incitent à vouloir donner un ou plusieurs organes: désir de sauver une vie, de continuité dans quelqu’un d’autre, pure générosité, altruisme, etc.
Ce genre de discussions peut même avoir un effet d’entraînement sur la famille, a souligné Véronique Savard, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières. «Des études démontrent que les participants ayant eu une discussion familiale sur le don d’organes sont plus susceptibles de s’inscrire comme donneur d’organes et d’accepter de donner les organes d’un membre défunt de la famille», indique-t-elle. Par ailleurs, certains facteurs peuvent nuire au don comme l’extrême jeunesse du donneur potentiel ou encore la brièveté du séjour à l’hôpital, à la suite d’un accident grave, par exemple. Il arrive aussi que les proches craignent que toute la procédure entourant le don ait un impact sur la suite des choses, comme de retarder la date des funérailles. D’autres encore estiment qu’il y a violation du corps du défunt ou que le corps doit être enterré dans son entièreté, pour ne citer que ces exemples.
Famille en détresse
Dans tous les cas, l’équipe médicale doit composer avec des familles sous le choc et aux prises avec une détresse immense. Infirmière et étudiante à la maîtrise en sciences infirmières, Karine Maltais affirme qu’on ne peut évidemment pas imposer le don d’organes à la famille. «Les proches nous demandent si tout a été tenté pour sauver la personne ou si le prélèvement lui fera du mal. Il faut prendre le temps de les écouter et expliquer clairement que le donneur est en état de mort cérébrale et donc, qu’il n’y a plus rien à faire. La décision finale leur appartient.»
Greffé du cœur depuis 14 ans, Mario Lemay a témoigné de son expérience comme receveur. À la suite de problèmes cardiaques importants, il a reçu un nouveau cœur en septembre 2005. Si recevoir un organe sauve une vie, elle entraîne aussi son lot de complications. «Avant l’opération, le cardiologue m’a dit qu’il allait régler un problème, mais que d’autres apparaîtraient, dit le sexagénaire. La première année suivant la greffe est particulièrement difficile. On fait de l’insomnie, on prend du poids à cause de la prise de cortisone… Sans compter tous les rendez-vous liés au suivi de l’opération, plus de 500 activités médicales dans mon cas.» Lui arrive t-il de penser au donneur qu’il ne connaîtra jamais, la confidentialité étant obligatoire? «On y pense beaucoup les premières années, répond Mario Lemay. Mais avec le temps, il faut s’approprier le cœur. On n’oublie pas le don qui a été fait, mais ce cœur est devenu le nôtre.»
Histoires de coeur
Proposer une approche pluridisciplinaire à la fois utile aux praticiens de la santé ainsi qu’à toute personne désireuse de mieux comprendre le domaine de la cardiopathie dans ses aspects cliniques et thérapeutiques, tel était l’objectif de cette journée d’études qui se déroulait le vendredi 22 novembre, au Café Rencontre Centre-Ville. Intitulée «Histoires de cœur», cette journée était une initiative du CRIV. Relevant de l’Université Laval, le CRIV compte une soixantaine de chercheurs, d’artistes, de praticiens et d’acteurs communautaires issus des sciences humaines et sociales, des sciences de la santé, des arts et des lettres.
L’activité était organisée sous la responsabilité des professeurs Thierry Belleguic, Maria Cecilia Gallani et Nicolas Vonarx, avec la collaboration de Laurence Vaujois et de Philippe Chetaille, tous deux cardiologues au service de cardiologie pédiatrique du CHU de Québec – Université Laval.