Ces statistiques sont tirées d'une vaste enquête pluriannuelle menée par l'Équipe de recherche sur la sécurité et la violence dans les écoles québécoises (Beaumont, Leclerc et Frenette, 2012-2019). L'enquête révèle également qu'en 2017 la proportion de répondants du secondaire possédant un appareil électronique, notamment un téléphone cellulaire capable d'envoyer et de recevoir des textos, s'élevait à 92%.
Ce projet de recherche est dirigé par la professeure Claire Beaumont, du Département d'études sur l'enseignement et l'apprentissage. «Les jeunes pensent qu'ils sont en conversation privée lorsqu'ils échangent des sextos, explique-t-elle. Or, Internet n'est jamais privé à 100%. C'est de la pensée magique de croire que personne d'autre ne peut voir les photos osées que l'on envoie.»
Selon elle, les échanges d'images intimes par Internet peuvent avoir des conséquences négatives graves. Pour aider les victimes, les auteurs ou les témoins de sexting, mais aussi de sextorsion ou de cyberagression sexuelle, la Chaire de recherche Bien-être à l'école et prévention de la violence que dirige la professeure Beaumont vient de publier un guide à l'intention du personnel scolaire et des parents. L'auteure est Cathy Tétreault, directrice générale et intervenante au Centre Cyber-aide, un partenaire de la Chaire. Un comité formé de personnes expertes dans le domaine, dont plusieurs proviennent de l'Université Laval, a participé à la réalisation du document.
«Le guide est unique puisqu'il existe actuellement très peu de documentation sur le sujet pour soutenir le personnel dans ses interventions, souligne Claire Beaumont. Ce guide pratique, très attendu dans les milieux scolaires, s'appuie sur la recherche et la pratique. Son but est d'outiller le personnel des écoles pour leur permettre de comprendre ce qui s'est passé et de réagir adéquatement en termes de prévention et de soutien aux jeunes, qu'ils soient victimes, auteurs ou témoins. Cette démarche implique de collaborer avec les parents.»
Le guide s'intitule En tant que victime, auteur ou témoin de sexting, de sextorsion ou de cyberagression sexuelle. Sur 32 pages, l'auteure aborde plusieurs aspects, notamment l'hypersexualisation de la société, la loi du silence chez les victimes et la notion de consentement dans un contexte d'activité sexuelle.
En quelques mots, le sexting consiste à envoyer ou à recevoir des messages à caractère sexuel au moyen d'un téléphone cellulaire, de courriels ou par les réseaux sociaux. Ces messages appelés sextos peuvent être écrits, ou être sous forme de photos ou de vidéos explicites, c'est-à-dire à connotation sexuelle. Parmi les raisons derrière l'envoi de sextos, il y a notamment le flirt et la volonté d'amener une relation consensuelle à un autre niveau. Ce faisant, certains jeunes s'exposent à la pression des pairs, à la sextorsion ou à la cyberagression sexuelle.
Ce dernier phénomène consiste, par exemple, pour un garçon à l'endroit d'une fille qui n'est pas consentante, à insister, à faire de fausses promesses, à lui faire une déclaration d'amour, à lui envoyer des photos de lui-même nu pour démontrer sa confiance. Souvent, le demandeur obtient gain de cause. La victime de cyberagression sexuelle peut vivre une diversité de manifestations émotionnelles, sociales et psychologiques. Des conséquences sont également possibles pour l'auteur de tels actes, notamment judiciaires. Filles et garçons sont susceptibles d'être victimes, auteurs ou témoins de ces situations.
Une dizaine de pages du guide sont consacrées aux interventions. En prévention, le personnel scolaire est invité à mettre en place des règles claires à propos des comportements sur Internet, à implanter un dispositif permettant aux élèves de déclarer les sévices qu'ils subissent ou qu'ils observent, et à multiplier les activités de sensibilisation. Bien gérer ces situations peut consister, entre autres, à contacter la police ou la Direction de la protection de la jeunesse et à conserver une copie des messages textes, photos ou vidéos.
Les jeunes, eux, doivent être informés des effets négatifs pouvant suivre, par exemple, l'échange de sextos, éviter de donner des renseignements personnels et bloquer les messages de la personne qui harcèle.
Quant aux parents, il leur est suggéré d'écouter ce que le jeune a à dire, sans porter de jugement, croire ce qu'il dit et souligner son courage d'en parler. Guider son enfant à travers Internet signifie notamment encadrer et structurer son utilisation du Web par des règles claires et vérifier les sites qu'il fréquente.
À l'école, dans le cadre d'une rencontre d'accompagnement avec une jeune victime qui se confie, le professionnel qualifié doit démontrer empathie, respect et écoute active. Il est primordial que la jeune personne réalise qu'elle n'est pas coupable et que plusieurs raisons peuvent expliquer le fait qu'elle ait accepté d'envoyer une photo ou une vidéo.
Selon Claire Beaumont, il importe de sensibiliser et d'éduquer les jeunes à l'utilisation des nouveaux médias, sans diaboliser ceux-ci et en reconnaissant leurs avantages lorsque bien utilisés. L'éducation doit miser sur le respect de soi-même et des autres et les comportements prosociaux à enseigner doivent développer le jugement critique face à l'hypersexualisation de l'espace public. «L'éducation des élèves à une sexualité saine doit être au cœur des interventions, souligne la professeure. Il faut leur parler de savoir-être et de valeurs et les informer en se basant sur des faits. L'éducation doit se faire par des gens motivés et qui se sentent compétents. D'où la pertinence de ce guide.»