«Le monde d'aujourd'hui se retrouve au milieu de deux logiques qui s'opposent, explique la professeure Aurélie Campana, du Département de science politique. D'une part, il y a les pays qui croient à la solidarité, malgré de fortes tensions. D'autre part, il y a les pays qui sont sur une logique de puissance et qui vont notamment se servir des négociations commerciales comme arme économique, ou qui vont recourir aux cyberattaques pour tenter d'influencer des processus politiques et sociaux comme, entre autres, les élections.»
Jeudi 2 mai à l'Hôtel Le Concorde de Québec, la professeure Campana prononcera l'un des deux mots de bienvenue du 5e Forum Saint-Laurent sur la sécurité internationale. L'événement est co-organisé par l'École supérieure d'études internationales de l'Université Laval (anciennement HEI), la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM et le CÉRIUM de l'Université de Montréal. Le Forum a pour but de promouvoir le développement et la diffusion d'une expertise francophone sur la sécurité internationale. La rencontre débutera le jeudi 2 mai en soirée. Cette année, le thème sera Dissuasion. Projection. Manipulation. Les usages de la puissance et leurs limites. Une vingtaine d'experts en provenance d'Amérique du Nord, d'Europe et de Russie seront présents, dont le professeur Richard Ouellet, de la Faculté de droit de l'Université Laval.
Les participants au premier de quatre panels discuteront de la nouvelle course aux armements qui semble se dessiner. «Au niveau des enjeux internationaux les plus actuels, on note un retour de logiques de puissance entre États, indique Aurélie Campana. Auparavant, une solidarité entre pays semblait prédominer. Plusieurs États tendent à se replier quelque peu sur eux-mêmes, sur des instruments qui font leur puissance, notamment l'arsenal nucléaire, pour ceux qui en possèdent un.»
Celle-ci rappelle qu'en février 2019, les États-Unis et la Russie ont remis en question leur participation au traité de désarmement sur les armes nucléaires de portée intermédiaire. Un autre volet de la problématique est l'acquisition d'armes conventionnelles, ce que fait la Russie avec son programme de réarmement. La robotique et l'intelligence artificielle, avec notamment le concept de robot-soldat, s'inscrivent dans une logique d'armement de plus en plus importante et diversifiée. «Les experts montreront qu'il y a des limites budgétaires à une course aux armements, dit-elle. Certains pays n'ont peut-être pas les moyens de leurs ambitions. C'est le cas de la Russie.»
Dans le panel numéro deux, les spécialistes s'interrogeront sur un possible retour du mercantilisme. Au nom du nationalisme économique, le président américain a engagé une guerre commerciale avec ses adversaires, comme la Chine, et avec ses principaux partenaires et alliés, comme le Canada et l'Union européenne. Or, ce néomercantilisme va à l'encontre du commerce international qui reposait sur la doctrine du multilatéralisme, lequel permettait d'entretenir des liens entre pays ainsi que la paix. À l'ère Trump, le commerce international viserait à dominer, à marchander, à n'offrir aucune concession, une approche qui entraîne un repli sur soi.
«La notion de puissance a subi des mutations importantes, souligne Aurélie Campana. On n'utilise plus uniquement un instrument classique comme la force militaire pour affirmer sa puissance. Par exemple, la renégociation de tarifs douaniers permet d'exercer des pressions sur les États voisins ou lointains. Lorsque Trump dit vouloir augmenter les tarifs douaniers, cela peut être vu comme de la manipulation.»
Les limites de la puissance se voient dans les énormes défis amenés par les migrations humaines et les changements climatiques. Cet aspect sera au cœur des échanges du panel numéro trois. Les experts analyseront l'impuissance des États à réguler les flots de migrants, que ce soit dans l'Union européenne, en Amérique du Sud et aux États-Unis. Dans le dossier du dérèglement du climat, on observe que les tentatives de solution se heurtent à un scepticisme bien réel et à des préoccupations de croissance économique, d'emploi ou de pauvreté.
«Une meilleure prise de conscience des migrations et des changements climatiques est souhaitable, soutient la professeure. Il faut un appel à une solidarité revisitée. Il faudra accueillir les migrants. Il faut aussi se mettre d'accord sur la manière de faire face aux changements climatiques. Ils représentent une urgence, pourtant on n'arrive pas à s'entendre. Les spécialistes avancent un certain nombre de solutions, mais l'ampleur de la coopération n'est pas suffisamment importante pour les mettre en application.»
Comment les cyberattaques sont-elles devenues, à l'image du piratage d'élections, des instruments premiers de la projection de la puissance? Peut-on véritablement enrayer les campagnes de désinformation ou doit-on se résigner à vivre avec elles? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles tenteront de répondre les experts du quatrième et dernier panel.
«On parle beaucoup d'ingérences possibles durant la campagne électorale fédérale canadienne à l'automne», indique Aurélie Campana.
Rappelons que durant la campagne présidentielle américaine de 2016 la Russie aurait été à l'origine de dizaines de millions de messages à des électeurs sur Facebook. La même année, la Russie aurait également influencé les électeurs britanniques lors du référendum sur le Brexit. «On sait, dit-elle, que la Russie a un bataillon de pirates informatiques qui s'emploient à diffuser des informations fausses durant les campagnes électorales. Elle n'est pas la seule. On sait aujourd'hui que des États et des acteurs non étatiques tentent de brouiller le processus démocratique, dans le but d'influencer le jeu politique, en manipulant les perceptions des citoyens. La désinformation crée des crispations assez importantes et peut avoir des incidences sur les équilibres internationaux.»
Inscription et information