L’année 2019 sera à marquer d’une pierre blanche dans la jeune histoire d’Anthropen, le dictionnaire francophone en ligne d’anthropologie et des sciences de la culture ouvert sur le contemporain. Cette plateforme Web en libre accès a été entièrement construite à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Elle est dirigée par ses deux fondateurs, la professeure Francine Saillant, du Département d’anthropologie, et le professeur Mondher Kilani, de l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne, en Suisse. Les deux universités sont partenaires dans le projet.
Au bout de quelques années de patiente élaboration, de nombreux chercheurs universitaires d’ici et d’ailleurs ont fait exploser les contenus du dictionnaire avec 120 entrées cumulées. L’un de ces articles porte sur le concept de cosmopolitisme. Brigitte Martin, docteure en anthropologie et agente de recherche et de planification au Bureau international de l’Université Laval, en est l’auteure.
Ce texte brosse un portrait des récentes études anthropologiques consacrées à la notion de cosmopolitisme. Pour rappel, ce terme est né dans la Grèce ancienne. Il exprimait la possibilité de toucher à l’universalité sans renier ses origines. Socrate lui-même avait déclaré: «Je ne suis ni Athénien, ni Grec, mais un citoyen du monde».
Au 18e siècle, on assiste au développement des notions de citoyen du monde et d’universalisme. Un contemporain, le philosophe Emmanuel Kant, formule sa théorie du cosmopolitisme en s’inspirant de l’universalisme, de la pensée rationnelle, du libéralisme et de la sécularité. Au fil des siècles, l’on montre souvent le cosmopolite comme un stigmatisé soupçonné de transmettre des idées provenant d’ailleurs, des idées sur lesquelles les autorités locales n’ont pas de contrôle. Chose certaine, le cosmopolite a la motivation de s’immerger dans une culture différente de la sienne au cours de séjours suffisamment longs pour explorer une ou plusieurs cultures locales. Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, le cosmopolite peut fonctionner selon une éthique des relations sociales caractérisée par la tolérance, la flexibilité, l’ouverture. Il a la volonté de s’engager avec d’autres personnes de culture différente, avec d’autres manières de penser et d’être. Il a une aptitude à trouver ses repères ailleurs.
Les grandes questions contemporaines
Selon Francine Saillant, le projet Anthropen voulait à l’origine rendre compte des transformations qui ont traversé le milieu de l’anthropologie ces dernières décennies. «Anthropen, explique-t-elle, a émergé d’un mouvement de pensée autour du renouvellement de cette discipline. On constatait que les grandes questions contemporaines n’apparaissaient pas dans les dictionnaires francophones d’anthropologie. Des formes d’habitation comme les bidonvilles, on ne les voyait pas. Des phénomènes qui se retrouvent un peu partout, comme le street art, se retrouvaient dans des livres, mais pas dans des dictionnaires.»
L’objectif d’Anthropen est de saisir les nouvelles configurations de l’anthropologie amenées par de nouvelles conditions d’exercice de la discipline comme la globalisation multiforme, les demandes sociales, les formes d’hégémonisme, les exigences éthiques, sans ignorer pour autant la pratique de terrain et la connaissance des langues.
«La finalité du dictionnaire, indique la professeure Saillant, est de participer à l’élaboration critique du savoir sur les sociétés et les cultures.»
La plateforme s’adresse aux spécialistes internationaux, aux professeurs, aux chercheurs, aux doctorants et postdoctorants de différents horizons. L’équipe de direction les invite à rédiger des textes qui seront évalués selon les standards scientifiques. Le dictionnaire peut aussi recevoir des propositions spontanées. Le comité éditorial international, pour sa part, est composé d’une vingtaine de chercheurs universitaires de huit pays. Au nombre de huit également, les partenaires comprennent notamment la Bibliothèque de l’Université Laval et les Éditions des archives contemporaines de Paris.
Une multitude de sujets
En plus des 120 articles publiés à ce jour, Anthropen contient 87 textes à venir. Comme tout dictionnaire, il se présente comme un lexique dont les mots-clés se déclinent par ordre alphabétique. Chaque mot-clé ne donne accès qu’à un seul article scientifique. Les articles publiés traitent d’une multitude de sujets, comme l’anthropocène, le verbe chamaniser, l’esclavage contemporain, le jihad et la réconciliation. Les textes à venir porteront notamment sur les enfants soldats, la francophonie minoritaire, les médias sociaux, la sainteté féminine et la violence extrême.
La contribution des chercheurs de l’Université Laval est notable. En 2018, les professeurs Martin Hébert et Bernard Roy, respectivement du Département d’anthropologie et de la Faculté des sciences infirmières, ont publié des articles sur la notion de paix et sur le thème de la santé. En 2019, il faut souligner la parution du texte d’Alexandrine Boudreault-Fournier sur le film ethnographique et celui d’Éric Gagné sur l’âgisme. La première est professeure associée au Département d’anthropologie, également professeure à Victoria University. Le second est professeur associé au Département de sociologie, également chercheur au Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec, CIUSSS Capitale-Nationale.
Après la période de rodage, Anthropen a eu besoin d’un certain temps avant de trouver son rythme de publication. Le site est maintenant à sa deuxième mouture. Plusieurs partenaires ont joint le projet. «Un certain rythme de croisière a été trouvé, soutient Francine Saillant. Nous commençons à avoir une certaine visibilité. Le projet commence à avoir le vent dans les voiles.»
Cela dit, les responsables d’Anthropen veulent aller beaucoup plus loin. «Par exemple, poursuit-elle, nous voulons que le dictionnaire s’ouvre sur d’autres langues à moyen terme. Nous voulons aussi vulgariser les contenus en sortant les mots du dictionnaire pour aller vers le public. Ce sont des termes qui questionnent et qui peuvent rejoindre les étudiants de plusieurs disciplines de l’université et du cégep, mais aussi monsieur et madame Tout-le-Monde.»
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