C’est le branle-bas de combat dans les hôpitaux du Québec. Le système de santé est frappé par la pandémie de COVID-19 et tout indique que le pire est à venir. Découragement, épuisement, crainte d’être infectés: pour diverses raisons, des médecins, du personnel infirmier, des inhalothérapeutes ou des préposés aux bénéficiaires pourraient décider de jeter l’éponge. En revanche, d’autres sont déterminés plus que jamais à faire face à la crise.
Mieux comprendre les réactions des professionnels de la santé dans ce contexte hors du commun: voici l’objectif d’une étude menée par le professeur Bruno Pilote, de la Faculté des sciences infirmières, qui vient de recevoir plus de 200 000$ des Instituts de recherche en santé du Canada. Avec son équipe, il déterminera le profil des personnes les plus disposées à intervenir en situation de pandémie et celui des individus les plus susceptibles de refuser de le faire. Ce projet pourrait réduire les risques organisationnels et humains liés à la pandémie.
«Après la crise du SRAS en 2003 à Toronto, près de 50% du personnel de la santé a connu un état de détresse psychologique, un choc post-traumatique ou du stress qui s’apparente à celui subi par des militaires en contexte de guerre, rappelle le professeur. Lors d’une pandémie, les professionnels de la santé se transforment en équipes d’élite pour gérer une situation exceptionnelle. Ce changement de rôle ne vient pas sans risques, et ce n’est pas tout le monde qui est fait pour cette nouvelle réalité.»
D’ici quelques jours, Bruno Pilote et ses collègues réaliseront des entrevues semi-structurées avec une centaine de travailleurs de la santé. Ces employés sont répartis dans cinq établissements, soit l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval, le CHU de Québec – Université Laval, l’Hôpital général juif, le CHU Sainte-Justine et le Centre hospitalier affilié universitaire régional de Trois-Rivières.
En plus d’une entrevue, ils seront invités à répondre à des questionnaires et à un test de personnalité. «Le but est de déterminer s’il existe un profil de personnalité, de valeurs ou de caractéristiques sociodémographiques des professionnels de la santé en situation de pandémie. Ont-ils des enfants? Sont-ils jeunes? Depuis combien de temps travaillent-ils dans ce milieu? Que comptent-ils faire en cas de pénurie d’équipements de protection? Le fait qu’un confrère soit infecté par la COVID-19 influencera-t-il leur prise de décision? On veut trouver la façon de placer la bonne personne au bon endroit pour qu’elle ait le moins possible d’impacts psychologiques associés à la pandémie», indique le professeur Pilote.
Les entrevues se feront «à chaud» afin que les participants dévoilent leurs émotions. «En accord avec la direction des différents hôpitaux, nous questionnerons les employés immédiatement après une exposition au virus afin d’obtenir leur charge émotive face à la situation. Rendus chez eux, il se peut que leurs réponses ne soient pas les mêmes. On veut que les données récoltées proviennent de l’émotif et non du rationnel. Dans une situation comme une pandémie, ce sont souvent les émotions qui guident la prise de décision, comme la peur, la colère ou la culpabilité.»
L’étude vient d’obtenir l’aval des Comités d’éthique de la recherche. C’est en quelque sorte une course contre la montre qui débute. «Notre étude est tributaire de l’évolution de la pandémie. S’il y a une flambée des cas d’infection dans les hôpitaux, on ne pourra plus faire d’entrevues. En étant optimiste, je prévois finir la collecte de données d’ici deux semaines», conclut le chercheur.