Qu'évoque pour vous la photo du shortcake aux fraises ci-dessus? Vous inspire-t-elle du plaisir, de la joie ou du réconfort? Pour bien des gens aux prises avec un trouble des conduites alimentaires (TCA), cette photo produit un tout autre effet. Elle éveille une peur intense à laquelle on aurait tout intérêt à s'attaquer avant que ces personnes soient emportées dans la spirale de l'anxiété. C'est ce que suggèrent les travaux que Caroline Gagnon a réalisés, sous la supervision des professeurs Simon Grondin et Catherine Bégin, dans le cadre de son doctorat à l'École de psychologie de l'Université Laval.
On sait que les émotions influencent la prise alimentaire, rappelle Caroline Gagnon. «Plutôt que de m’intéresser aux émotions vécues par les patientes dans un contexte de vie général, je me suis penchée sur les émotions évoquées par la nourriture elle-même. Ces émotions pourraient fournir les bases explicatives potentielles de la prise alimentaire inadéquate des femmes présentant un TCA.»
Pour tester cette hypothèse, la neuropsychologue a recruté 13 femmes atteintes d'anorexie mentale, 9 femmes souffrant de boulimie et 22 femmes sans TCA. Les participantes devaient visionner sur écran d'ordinateur 46 images d'aliments ou de mets, s'imaginer qu'elles les mangeaient et remplir un questionnaire sur les émotions générées dans chaque cas.
Les analyses montrent que la peur que suscitent ces images d'aliments est nettement plus élevée chez les femmes qui ont un TCA que chez les femmes du groupe témoin. De plus, l'intensité de cette peur augmente en fonction de la densité énergétique que les participantes attribuaient à chaque aliment. Les personnes atteintes d'anorexie mentale ressentaient intensément cette peur, peu importe le type d'aliments en cause. Chez les personnes atteintes de boulimie, elle s'exprimait davantage pour les aliments jugés à haute densité énergétique.
— Caroline Gagnon
Environ 30% à 40% des personnes atteintes d’un TCA font une rechute après le traitement initial, signale Caroline Gagnon. Dans la plupart des cas, c’est la prise alimentaire inadéquate qui redevient problématique. «La peur des aliments semble être au cœur de la relation que les femmes souffrant d'un TCA ont avec la nourriture, constate-t-elle. Cette peur conduit au rejet et à l'évitement de certains aliments. Plus cet aliment est évité, plus la peur qui y est associée grandit et se cristallise. Il est important d'examiner la question de la peur de la nourriture chez les personnes souffrant d'un TCA dès leur prise en charge. Lorsque cette peur est présente, on pourrait la contrer en recourant à des stratégies qui ont fait leurs preuves dans le traitement des troubles anxieux, en complément aux thérapies validées pour l'anorexie mentale et la boulimie.»