Le jeûne intermittent se taille la part du lion parmi les nouvelles tendances en matière de régimes. Est-ce que cela contribue vraiment à perdre du poids?
Il est possible que certaines personnes parviennent à mieux sentir leur faim et à mieux répondre à leurs besoins en jeûnant une douzaine d’heures ou une journée. Le problème, selon moi, c’est le marketing fait autour du jeûne. On laisse croire que cette méthode change notre métabolisme à la manière d’une baguette magique. Plutôt que de parler d’une réduction de calories, des médecins comme Jason Fung affirment que le jeûne diminue l’insuline qui stocke les graisses. Donc, on perdrait forcément du poids. En fait, il s’agit d’une demi-vérité. Toute personne qui fait une importante activité physique ou mange vraiment moins durant une journée va certainement voir son niveau d’insuline diminuer. Pourquoi? Parce que le corps se trouve en situation de survie à ce moment-là. Il n’accumule pas de réserves. Dans les faits, si je saute un repas et que je ne mange pas davantage que d’habitude lors des deux autres repas, je vais puiser dans mes réserves de graisse pour donner à mon corps l’énergie nécessaire. Logiquement, après quelques jours ou quelques semaines de ce régime-là, je vais perdre du poids. Certaines études montrent que jeûner ou prendre moins de calories au cours des repas revient au même: dans les deux cas, on vit un déficit calorique. Cela n’a rien de magique.
Est-ce que jeûner représente un risque pour le corps?
Même si les nutritionnistes ont longtemps suggéré de ne pas sauter de repas dans la journée, la règle d’or, selon moi, c’est de manger quand on a faim et d’arrêter quand on n’a plus faim. Certaines personnes fonctionnent mieux avec deux repas par jour, car elles n’ont pas envie de manger en se levant. Il existe de très nombreuses façons différentes de jeûner, qu’il s’agisse de ne pas prendre de nourriture pendant 12 heures ou pendant une journée durant la semaine. Sauter un repas n’a vraiment rien de catastrophique. Il faut vraiment adapter notre alimentation à nos besoins. Selon moi, le principal risque concerne la privation. Certains peuvent avoir d’importantes envies de nourriture les jours de jeûne et rêver à tout ce qu’ils s’interdisent d’habitude. Cet effet pervers les pousse à se jeter sur leur garde-manger, car leur tête devient folle quand la période de restriction prend fin! Cela entraîne donc certains problèmes de comportement alimentaire. Cela dit, plusieurs personnes trouvent moins difficile de ne pas manger pendant un temps défini – durant quelques heures, une journée ou plus par semaine – que de réduire leur apport calorique durant les repas.
Les résolutions alimentaires concernent aussi souvent désormais la façon dont les consommateurs s’approvisionnent…
La définition de la saine alimentation s’élargit effectivement de plus en plus. Longtemps, on a associé dans notre esprit l’idée de bien manger à celle de ne pas prendre de poids pour rester en santé, sans forcément de soucier des conséquences environnementales. Il y a déjà 10 ans cependant que le ministère de la Santé et des Services sociaux prend en compte cet aspect de durabilité des aliments dans sa vision de la saine alimentation. Des mouvements comme le zéro déchet ou l’achat local prennent aujourd’hui de plus en plus d’importance. Même si la perte de poids et le nombre de calories retiennent encore beaucoup l’attention, j’ai l’impression que d’autres éléments de l’alimentation, bénéfiques pour la santé et le bien-être des gens, font désormais partie des valeurs communes. Un grand nombre de personnes montrent un certain respect pour les aliments et les choisissent frais, de bonne qualité et moins transformés, moins fast food. À mes yeux, la relation avec les aliments devient plus harmonieuse. Lorsque nos choix sont liés à nos convictions profondes, les changements alimentaires ont davantage de chances de durer.
Simone Lemieux, nutritionniste et professeure à l’École de nutrition.
Photo : Marc Robitaille