Des textes de la Nouvelle-France aux hypertextes du 21e siècle, de l’apparition de l’imprimerie aux conditions de vie des écrivains au 19e, de l’évolution des représentations de la ville aux pratiques littéraires au féminin, du théâtre au roman policier et à la littérature autochtone, d’Angéline de Montbrun au Survenant, en passant par L’homme rapaillé et L’histoire de Pi. Voilà autant d’aspects captivants de l’histoire des lettres québécoises que le lecteur découvrira ou approfondira en feuilletant l'Atlas littéraire du Québec paru dernièrement aux Éditions Fides.
Cet ouvrage est remarquable à plus d’un titre. D’abord, par le nombre de ses pages: 496. Ensuite, par le nombre de collaboratrices et de collaborateurs recrutés: plus de 150 parmi les meilleurs spécialistes. Parmi eux, on compte sept professeurs et quatre doctorants de l’Université Laval. Enfin, par les multiples aspects qu’il révèle de la littérature d’ici.
«Ce projet de livre était d’une ampleur assez gigantesque», souligne Alex Gagnon, chercheur postdoctoral au Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval et codirecteur de l’Atlas avec les professeurs Pierre Hébert, de l’Université de Sherbrooke, et Bernard Andrès, de l’Université du Québec à Montréal. «Nous prenions contact avec les spécialistes du sujet, poursuit-il. Après leur avoir soumis l’idée générale, nous leur laissions la liberté d’amener le contenu de leur notice où ils voulaient. Nous leur faisions ensuite nos commentaires auxquels ils réagissaient.»
Alex Gagnon, pour sa part, signe une notice sur les Mystères de Montréal. Inspirés des Mystères de Paris, d’Eugène Sue, ces cinq romans populaires urbains mettent en scène des personnages louches et des lieux peu recommandables. Ils paraîtront entre 1846 et 1893. «Il nous apparaissait important de mettre en lumière de nombreux livres peu connus du public», indique-t-il.
Au fil des pages, illustrations et encadrés dynamisent la lecture tout en apportant un complément d’information. Tel est le cas de la page 79, dont l’encadré porte sur le romancier historique Joseph Marmette. Partiellement oublié de nos jours, celui-ci demeure l’un des romanciers les plus prolifiques du 19e siècle. La une du premier numéro du journal illustré L’Opinion publique (1870) est juxtaposée à l’encadré. Ce journal est l’un de ceux qui ont publié en feuilleton certains romans de Marmette.
«L’Atlas se distingue des autres ouvrages dressant un portrait des lettres québécoises, soutient le postdoctorant. Ceux-ci vont adopter un parcours chronologique. Notre approche aborde les sujets de plein d’angles, il y a plein de portes d’entrée. À la fin de chaque notice, on propose le renvoi à d’autres notices. Par exemple, le texte sur les pratiques littéraires au féminin à la fin du 19e siècle renvoie à des contemporaines comme Nelly Arcan.»
Jeanne la fileuse et Maria Chapdelaine. Ces deux romans, publiés à 38 années d’intervalle vers la fin du 19e siècle et au début du 20e, ont les États-Unis en toile de fond. Du milieu du 19e siècle jusqu’aux années 1920, environ un million de Canadiens français quitteront le Québec pour s’établir ailleurs au Canada ainsi qu’aux États-Unis. Le roman d’Honoré Beaugrand, écrit et publié au Massachusetts, a comme sous-titre Épisode de l’émigration franco-canadienne aux États-Unis. Ce récit d’émigration se veut la chronique d’un amour interdit. Dans le roman de Louis Hémon, la jeune Maria vit sur une terre conformément à la tradition. Elle est courtisée par Lorenzo, un Franco-Américain qui lui fait miroiter une vie plus confortable au sud. Elle choisit de poursuivre le mode de vie traditionnel de dur labeur en épousant un cultivateur proche. «La grandeur morale de Maria est de se sacrifier en renonçant à une vie plus facile», souligne Alex Gagnon.
De grands textes
Maria Chapdelaine figure parmi les grands textes qui ont imagé l’histoire littéraire du Québec. «Un livre, affirme le postdoctorant, est une trace de l’imaginaire collectif d’une époque. Ce roman a joué un rôle majeur dans notre imaginaire. De même que Menaud, maître-draveur (1937) de Félix-Antoine Savard et Trente arpents (1938), de Ringuet.» Ce dernier roman raconte la passion d’Euchariste Moisan pour ses trente arpents de terre. Avec le temps, deux de ses enfants vont vivre en ville, un autre meurt. Un incendie ravage la ferme. Après bien des épreuves, le cultivateur décide de rejoindre un de ses fils émigré aux États-Unis. Ce roman, succès critique et populaire, représente la fin du roman du terroir.
«Un autre grand texte est Les anciens Canadiens, de Philippe Aubert de Gaspé père, indique Alex Gagnon. Publié en 1863, grand succès critique et de librairie, ce roman historique fut parmi les plus lus au 19e siècle. Il donne une image idéalisée de la Nouvelle-France et du régime seigneurial. Il est souvent considéré comme l’un des plus importants de notre littérature.»
Le tournant du 20e siècle constitue un moment charnière pour la première génération de femmes de lettres au Québec. À Montréal, elles signent des chroniques et des billets dans les journaux. Elles valorisent l’éducation des filles, créent les premiers magazines féminins et stimulent la participation des femmes à la production de textes littéraires.
«L’Atlas, dit-il, fait une place à ces écrivaines oubliées et les inscrit dans le fil du temps jusqu’aux écrivaines d’aujourd’hui. D’ailleurs, Gabrielle Roy et Anne Hébert sont encore aujourd’hui parmi les écrivains québécois les plus lus et les plus enseignés dans les universités.»
Et le 21e siècle? «La littérature québécoise est de son temps, répond Alex Gagnon. Nous voulions l’Atlas branché sur le présent. Il reflète ce qui se passe actuellement dans le champ littéraire. Depuis l’an 2000, de jeunes éditeurs font paraître beaucoup de textes d’auteurs dynamiques. Par exemple, une notice porte sur le blogue littéraire. Plusieurs écrivains font leur entrée en littérature par le blogue. Ils s’en servent pour publier des textes d’opinion, de l’autofiction, de la poésie. C’est une voie qui se développe.»