6 janvier 2023
Rupture conjugale: le soutien social à la fois très limité et très important pour les hommes
Si les hommes ayant vécu une séparation tentent souvent de s'en sortir seuls, une étude qualitative montre l'importance de les sensibiliser à demander de l'aide

Dans les sociétés industrialisées d’aujourd’hui, environ un couple sur deux mettra fin à son union, que ce soit par une séparation ou un divorce. Les études tendent à montrer que la rupture est plus souvent initiée par les femmes.
— GETTY IMAGES/PeopleImages
«Je ne voyais plus rien. Je n'étais pas concentré sur mon travail, j'étais complètement… J'étais comme au milieu de l'océan, pas de flotte.» Ce témoignage d'Antoine, 61 ans, illustre la détresse que les hommes peuvent ressentir après une rupture conjugale. Une impression de tout perdre qui s'accompagne d'anxiété, de dépression, voire d'idées suicidaires. Pour y faire face, plusieurs se plongent dans l'action et le travail. Une apparence de contrôle qui retarde la demande d'aide. Et pourtant… «On a juste besoin d'avoir une oreille», confiera Denis, 47 ans.
Le mal-être post-rupture chez les hommes mérite qu'on s'y attarde, estime Jean-Michel Lavertu, qui vient de publier un mémoire de maîtrise en service social sur le sujet. L'idée lui est venue en travaillant pour AutonHommie, un centre de ressources pour hommes en difficulté. Il a constaté que les séparations amoureuses étaient souvent la raison des consultations, malgré la présence de mille et un autres problèmes. «Et quand les hommes demandent de l'aide, c'est pour hier ou avant-hier, dans le sens où il faut qu'ils la reçoivent très rapidement, parce qu'ils ont attendu trop longtemps.»
Rappelons que dans les sociétés industrialisées d'aujourd'hui, environ un couple sur deux mettra fin à son union, que ce soit par une séparation ou un divorce.
Pour son étude qualitative, Jean-Michel Lavertu a réalisé des entrevues individuelles avec 10 hommes, dont Antoine et Denis. Recrutés à l'Université Laval et à l'organisme AutonHommie, à Québec, ils devaient avoir vécu une relation amoureuse significative d'au moins 6 mois et une rupture conjugale remontant à 3 mois ou plus, mais à un maximum de 10 ans. L'auteur et sa directrice de mémoire, Valérie Roy, professeure à l'École de travail social et de criminologie, ont été surpris par la participation et l'intérêt des hommes à parler de ce sujet. Des volontaires ont même été refusés.
Les hommes davantage laissés
Durant ses entrevues semi-structurées, qui duraient en moyenne 73 minutes, Jean-Michel Lavertu a voulu savoir ce qui se passait avant la rupture, comment les participants avaient-ils réagi à la séparation et comment se sont-ils adaptés ensuite. Parmi les faits saillants, il soulève que la rupture est plus souvent initiée par les femmes, donc les hommes ont tendance à ne pas la voir venir. «Dans mon mémoire, 70% des hommes ont été laissés», dit-il. Une proportion qui correspond aux observations d'autres chercheurs.
Comme si tout allait bien
L'auteur mentionne que les hommes s'identifient beaucoup à leur rôle de conjoint ou de père et qu'en cas de rupture, ils vivent un «deuil symbolique». Plusieurs ont rapporté avoir des symptômes dépressifs ou des idées suicidaires. Pour contrer ce mal-être, le réflexe est de tenter de demeurer dans l'action, coûte que coûte. «Ils accordent énormément d'importance à rester autonomes et à faire comme si tout allait bien. Mais en fait, ils ont beaucoup de mal à y arriver. Donc, il y a une grande honte.»
— Jean-Michel Lavertu, auteur du mémoire
Misogynie temporaire et support féminin
Jean-Michel Lavertu ajoute que certains hommes éprouvent une sorte d'ambivalence par rapport à la rupture. «Même si la relation est terminée, ils ont de la misère à le concevoir et ils idéalisent beaucoup leur ancien couple. Ce qui fait en sorte qu'ils ont du mal à vivre du ressentiment.»
Pour deux participants de l'étude, qui ont subi la rupture, le sentiment de haine n'était pas dirigé vers leur ex-partenaire, mais vers l'ensemble des femmes, comme de la misogynie. «Ils étaient conscients de cette réaction, qui était temporaire. L'un des participants a mentionné avoir eu le soutien d'une femme, d'une amie, ce qui l'avait beaucoup aidé à contrer ce sentiment-là.»
L'étude visait justement à analyser le rôle des proches pour aider les hommes à s'adapter à leur nouvelle vie. Constat: «Le soutien social est à la fois très limité et très important pour les hommes». Jean-Michel Lavertu souligne que les participants ont réalisé être très seuls après la rupture. Souvent, dit-il, c'est la conjointe qui s'occupe du réseau social et des amis.
Écoute et absence de jugement
Pour un soutien adéquat auprès de la gent masculine, l'absence de jugement est essentielle, indique l'auteur, qui travaille en clinique et est aujourd'hui intervenant psychosocial à La Boussole. Dans leur recherche d'autonomie, les hommes éprouvent un malaise à demander de l'aide. Ils vont plutôt se replier sur des activités sportives ou donner un coup de main pour des rénovations. «Et à travers ça, c'est propice aux confidences», souligne Jean-Michel Lavertu en parlant de «relations horizontales», d'égal à égal.
Il explique que la relation avec un intervenant ou un psychologue dans un bureau convient moins à la clientèle masculine, qui a «l'impression que le professionnel est supérieur et a réponse à tout». Une relation plus «verticale».
N'empêche, les hommes veulent être entendus, beaucoup écoutés, a constaté l'auteur. «Souvent, c'est resté très longtemps à l'intérieur, alors ça sort un peu tout croche. Mais ils ont besoin d'en parler. Ils doivent trouver l'équilibre entre l'action et l'écoute pour aller mieux.»
Sensibiliser dès l'école
Ces résultats montrent l'importance de sensibiliser les hommes pour qu'ils demandent de l'aide plus tôt autour d'eux. Jean-Michel Lavertu fonde beaucoup d'espoir sur la prévention. «Il faut aussi aller vers les adolescents, dans les écoles. Expliquer c'est quoi une relation amoureuse, c'est quoi la fin d'une relation amoureuse et c'est quoi des relations saines en amour.»
Peu d'études comme la sienne ont documenté l'expérience de rupture vécue par les hommes et le rôle de leur entourage pour les aider à s'adapter, dit l'auteur. Les recherches se penchent davantage sur la violence qui découle parfois de cette situation. Les cas de féminicide suivi du suicide de l'homme surviennent trois fois sur quatre à la suite d'une rupture conjugale, selon le Rapport du comité d'experts sur les homicides intrafamiliaux. L'objectif ultime est d'éviter l'implosion ou l'explosion en cas de divorce ou de séparation.