La campagne électorale qui oppose le président républicain sortant, Donald Trump, et le candidat démocrate à la Maison-Blanche, Joe Biden, aura donné lieu à des rebondissements de toutes sortes au cours des dernières semaines. Parmi une foule d’éléments, lesquels retenir et mettre en lumière afin de mieux saisir les grands enjeux en cause? Professeur au Département de science politique, Jonathan Paquin cible cinq axes de réflexion.
La transition des pouvoirs si Joe Biden l’emporte
Dans une démocratie, il est convenu que le président sortant s’engage à assurer une transition pacifique et ordonnée des pouvoirs. Or, Donald Trump soutient qu’il n’en sera rien pour lui en cas de défaite le 3 novembre. Son motif: la fraude électorale. «Il répète que s’il perd, c’est parce que le scrutin sera truqué en attribuant la faute au vote postal, explique Jonathan Paquin. Il justifie à l’avance sa défaite en disant que le système s’est organisé contre lui.»
Or, ces accusations n’ont pas de vraisemblance explique le professeur. «Lorsqu’il est question de la validité du processus électoral aux États-Unis, le FBI affirme qu’historiquement les cas de fraude sont très marginaux.» En dénigrant à l’avance le résultat des élections en cas de victoire de son opposant Joe Biden, l’actuel président, qui pourrait exiger un recomptage des bulletins de vote dans tous les États, met la table à son propre refus de s’engager dans un passage des pouvoirs pacifique. Sans compter qu’en remettant en doute la fiabilité du processus électoral, il instaure la méfiance de la population envers l’autorité centrale des États-Unis.
«Le pays est déjà divisé et sous haute tension. Cette posture de Donald Trump augmente les risques de violence et de désordre, une perspective qui fait peur, notamment au gouvernement canadien. C’est une manière de faire irresponsable.»
La gestion de la COVID-19
Le coronavirus a déclenché une pandémie mondiale, toujours en cours, et sa gestion représente un défi de taille pour les dirigeants du monde entier. Dans un pareil contexte d’incertitude, souligne Jonathan Paquin, une attitude s’impose pour qui est à la tête d’une démocratie: le principe de précaution. «C’est une norme de gestion des risques en politique publique. Selon elle, le dirigeant se doit d’envoyer un message clair à la population comme quoi la prudence est de mise.»
«C’est ce message qu’envoie Joe Biden. Il porte toujours son masque et incite à la prudence. Son discours à cet effet est sans équivoque, note le professeur. Donald Trump, au contraire, veut donner l’impression que la pandémie est derrière nous, poursuit-il. Revenu triomphant de son infection à la COVID-19, il affirme qu’il faut s’affranchir de la peur du virus.»
Cette posture très différente des candidats contribue à creuser l’écart entre eux deux, note le politicologue. «Donald Trump adopte une stratégie qui donne l’impression qu’il joue à la roulette russe avec la santé des moins jeunes. Dans ce contexte, je ne vois pas comment l’électorat plus âgé pourrait dire de lui: c’est notre homme. Voilà qui risque de lui nuire, en particulier dans des États pivots comme la Floride ou le Nevada.»
La suppression du nombre d’électeurs
Alors que, dans une démocratie, le droit de vote est une garantie, il est de plus en plus documenté que cet exercice s’est refermé aux États-Unis, souligne Jonathan Paquin. «En 2013, la Cour suprême a invalidé des dispositions clés du Voting Rights Act. Adoptée par le Congrès en 1965, cette loi visait à ouvrir également l’exercice du droit de vote à l’ensemble de la population américaine, notamment en facilitant son accès pour les minorités.»
Durcissement des conditions de vote, suppression de bureaux de scrutin, «comme par hasard, les révocations de 2013 ont rendu l’exercice du droit de vote plus difficile dans certains districts plus pauvres ou pour les minorités, poursuit le professeur. Ces clientèles sont plus susceptibles de voter démocrate, ce qui favorise les républicains.»
Le professeur souligne que cette façon de bâillonner les citoyens plus pauvres et les minorités, «disparus» de la liste électorale, a des conséquences non seulement dans le choix du président et du vice-président, mais aussi lors de l’élection des sénateurs et des députés, bref sur tout l’exercice démocratique au pays.
La thèse du complot
Cabale pédophile et satanique qui contrôlerait en secret le gouvernement américain et même le monde, informations dissimulées par les médias et par les politiques, thèses complotistes de tout acabit impliquant des démocrates: voilà un aperçu des croyances cultivées et diffusées par un mouvement extrémiste qui gagne en popularité aux États-Unis. Avec à sa tête un certain QAnon, ses partisans détiendraient «la vérité» et appellent les citoyens à se mobiliser pour combattre «le Mal».
«Donald Trump refuse de prendre position contre ce mouvement conspirationniste», indique Jonathan Paquin. On peut se dire que cela n’a rien d’étonnant dans la mesure où ce groupe voit en lui son sauveur et l'appuie ouvertement. «Pourtant, c’est une question de principes et de valeurs, estime le professeur. Plutôt que de mettre en garde la population contre les dangers de telles dérives, il refuse de pointer du doigt et même banalise l’influence de complotistes qui pourraient l’aider à gagner. C’est du jamais vu dans une campagne présidentielle. Là encore, il s’agit d’une attitude inquiétante qui met en péril la confiance des électeurs envers les institutions.»
La nomination de la juge Amy Coney Barrett
Survenu le 18 septembre dernier, le décès de la juge Ruth Bader Ginsgurg a laissé un poste vacant à la Cour suprême des États-Unis, formée de neuf membres. Donald Trump a rapidement comblé ce siège en désignant Amy Coney Barrett, une magistrate associée à la mouvance catholique ultra conservatrice. «Du côté des démocrates, on craint qu’elle puisse voter sur des jugements qui, par exemple, invalideront des pans de l’Obamacare et feront régresser le droit des femmes à l’avortement», précise Jonathan Paquin.
Or, en vertu de la constitution, pour être effectif, ce choix doit être confirmé par le Sénat. «Donald Trump insiste pour que cette nomination se fasse avant les élections du 3 novembre, ce à quoi les démocrates répliquent en rappelant qu’une situation identique s’était produite en 2016 alors que des sénateurs républicains avaient refusé de nommer le candidat à la Cour choisi par Barack Obama en arguant que les présidentielles étaient trop proches. La sélection du président sortant était d’ailleurs tombée après les élections remportées par Donald Trump.»
L'insistance de ce dernier d'aller de l’avant avec l’audition de la juge Barrett, malgré la proximité des présidentielles, marque son intention d’ancrer l’aile conservatrice à la Cour en renforçant sa majorité à six juges contre trois, analyse le politicologue. Cette nomination risque de marquer un point de rupture avec les droits civils actuels des Américains. «Car contrairement aux élections présidentielles qui se tiennent tous les quatre ans, les juges à la Cour suprême sont nommés à vie», conclut Jonathan Paquin.