L'histoire commence en juin 2017 alors que l'équipe du professeur Fangjian Guo de l'Université du Texas publie dans cette revue scientifique une étude montrant l'évolution du profil des femmes qui ont demandé un test BRCA entre 2004 et 2014 aux États-Unis. Pendant la plus grande partie de cette décennie, ces tests ont surtout servi dans des cas de femmes déjà atteintes de cancer afin, notamment, de guider les choix de traitements. À partir de 2013 toutefois, ces tests sont devenus majoritairement utilisés par des femmes qui n'avaient jamais eu le cancer. Les chercheurs texans ont avancé trois hypothèses pour expliquer la hausse globale de la demande et l'évolution du profil des utilisatrices américaines: une baisse du coût des tests, une confidentialité accrue de l'information génétique et un marketing direct de ces tests auprès de la population et des médecins. «Ces explications sont plausibles, mais il nous a semblé qu'un autre élément avait pu contribuer à cette évolution, commente Hermann Nabi, du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. C'est la sortie publique d'Angelina Jolie en 2013.»
On se rappellera que, le 14 mai 2013, Angelina Jolie annonçait, dans une entrevue au New York Times, qu'elle avait subi une double mastectomie en raison des nombreux cas de cancer du sein dans sa famille et parce qu'elle était porteuse d'une mutation dans le gène BRCA1. Entre 5% et 10% des cas de cancer du sein et entre 10% et 18% des cas de cancer de l'ovaire sont liés à des mutations dans les gènes BRCA. Les femmes qui sont porteuses de mutations dans ces gènes ont un risque de cancer de l'ovaire 10 fois plus élevé et un risque de cancer du sein de 5 à 8 fois plus élevé que les femmes non porteuses.
Pour déterminer si l'hypothèse d'un effet Angelina Jolie tenait la route, Hermann Nabi, Michel Dorval, de la Faculté de pharmacie, et Jocelyne Chiquette et Jacques Simard, de la Faculté de médecine, ont réexaminé les données de l'équipe texane. Leurs observations, publiées récemment dans l'AJPM, révèlent qu'il y a effectivement eu une accélération de la demande de tests BRCA entre 2012 et 2014. Pendant que le nombre de tests doublait chez les femmes atteintes de cancer, il triplait chez celles qui en étaient exemptes. C'est aussi en 2013 que, pour la première fois, le pourcentage de tests demandés par des femmes sans cancer dépassait la barre du 50%.
Les chercheurs texans n'ont pas fait la sourde oreille à cette idée. Une nouvelle analyse de leurs données, segmentées par mois plutôt que par année, a confirmé que la hausse rapide des demandes de tests BRCA est survenue après la sortie médiatique d'Angelina Jolie. Cette hausse a été immédiate chez les femmes ayant des proches qui ont eu un cancer et elle s'est amorcée quelques semaines plus tard chez celles sans antécédents familiaux. «La croissance de la demande s'est un peu atténuée depuis, mais elle reste plus forte qu'avant mai 2013», souligne le professeur Nabi. L'effet Angelina Jolie s'est également fait sentir ailleurs dans le monde, poursuit-il. «Au Canada, en raison des particularités du système de santé, cet effet s'est manifesté par des listes d'attente plus longues pour les consultations en oncogénétique.»
Cette histoire vient rappeler l'influence énorme que des personnalités connues peuvent exercer sur les choix personnels des individus. Elle en révèle aussi les risques. «La sortie d'Angelina Jolie a suscité de l'inquiétude dans la population et une forte demande pour du dépistage génétique, même chez des femmes sans histoire familiale de cancer, observe Hermann Nabi. Les ressources publiques en oncogénétique sont limitées et il faut s'assurer que les services soient offerts aux personnes qui, en raison de leurs caractéristiques personnelles et de leur histoire familiale, peuvent en retirer des bénéfices.»
Malgré tout, le professeur Nabi estime que la sortie d'Angelina Jolie a apporté du bon. «Cette annonce a fait l'objet d'une couverture médiatique mondiale et elle a sensibilisé les gens, plus que toutes les campagnes organisées jusque-là, à la composante héréditaire de certains cancers.»