Voilà le constat que dresse sur le cinéma québécois Andrée Fortin, professeure au Département de sociologie. Cette spécialiste qui mène des travaux depuis 1998 avec le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues sait de quoi elle parle. Ayant consacré un an de sa vie à une étude sur le cinéma québécois, elle a ainsi analysé 250 films, tournés de 1965 à 2010. But de l’exercice: mieux comprendre l’image de la banlieue, de la ville et de la campagne dans l’imaginaire social d’un peuple.
«Il n’y a jamais rien d’innocent dans le choix qu’une personne fait de s’installer dans un endroit plutôt qu’un autre, dit Andrée Fortin. C’est aussi vrai au cinéma, où la ville est associée à la promiscuité et la banlieue, au calme. L’action du premier film que j’ai analysé, La vie heureuse de Léopold Z réalisé par Gilles Carle en 1965, se passe presque entièrement à Montréal, sauf pour une ou deux scènes. Mais le grand rêve du personnage principal, Léo, est d’habiter une maison en banlieue.»
Au cours des dernières années, de nombreux films québécois où la famille se construit en banlieue ont vu le jour: qu’on pense à C.R.A.Z.Y de Jean-Marc Vallée (2005), 1981 de Ricardo Trogi (2009) ou à Un été sans point ni coup sûr de Francis Leclerc (2008). Dans J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009), la mère se plaint constamment de devoir traverser les ponts pour aller à Montréal, mais cela ne l’incite pas pour autant à déménager. La banlieue n’est cependant pas toujours présentée comme un lieu où il fait bon vivre. Ainsi en est-il de la banlieue «beige» de Continental, un film sans fusil de Stéphane Lafleur (2007) où évoluent des êtres malades de solitude. Et si les impayables Deux femmes en or de Claude Fournier (1970) s’ennuient à mourir dans leur maison de banlieue, il ne viendrait jamais à l’idée des Voisins de Claude Meunier et Louis Saia (1980) d’habiter ailleurs.
Que se passe-t-il en ville? Les enfants y sont souvent laissés à eux-mêmes, abandonnés par des parents aux prises avec des problèmes de drogue ou vivant dans des familles dysfonctionnelles dans des quartiers pauvres de la ville. Pensons au Monsieur Émile du Matou de Jean Beaudin (1985) ou au Léolo de Jean-Claude Lauzon (1992). Même constat dans Le Ring réalisé par Anaïs Barbeau-Lavalette en 2007. Jessy, le jeune héros du film, rêve de devenir lutteur professionnel. En attendant, il crève de faim et voit sa mère se prostituer au coin de la rue pour quelques grammes d’héroïne. La ville est également le lieu de l’incommunicabilité. Dans Les Aimants (Yves Pelletier, 2004), Jeanne ne communique avec son amoureux que par des aimants posés sur le réfrigérateur en raison de leurs horaires de travail incompatibles.
Enfin, les films dont l’histoire se déroule à la campagne montrent souvent des citadins en quête d’authenticité, soutient Andrée Fortin. Pensons à La vraie nature de Bernadette (Gilles Carle, 1972) où la protagoniste quitte la vie urbaine pour aller vivre sur une terre. Ce retour à la terre sera toutefois le théâtre d’autres remises en question et Bernadette y découvrira sa vraie nature. Mais cela est une autre histoire.