Megan Lukaniec est professeure adjointe rattachée au programme d’études autochtones de l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique. Le jeudi 2 février au pavillon Charles-De Koninck, cette diplômée de maîtrise en anthropologie et en linguistique de l’Université Laval a prononcé une conférence sur l’utilisation grandissante de la langue wendat dans la communauté autochtone de Wendake, près de Québec. Dans son exposé, elle a mis l’accent sur le processus de reconstruction, le parcours de revitalisation et les retombées de la réappropriation linguistique du wendat par la communauté. Le titre de sa présentation était «Ceci est par où nous commençons» ou Khondae’ etikwakontahkwa’.
L’activité était organisée par le Département de langues, de linguistique et de traduction et par le Cercle des Premiers Peuples.
«Je suis membre de la communauté huronne-wendat de Wendake, explique, d’entrée de jeu, celle qui a obtenu un doctorat en linguistique de l’Université de Californie en 2018. J’ai grandi au Connecticut, à environ 8 heures de route de Québec. Mes liens avec Wendake se sont faits durant l’enfance. L’été, mon père nous amenait voir ma famille wendat. C’était important pour lui au point de vue de notre identité et de nos origines.»
La professeure adjointe a commencé à s’intéresser au wendat après son baccalauréat dans une université américaine. «Je lisais les Relations des jésuites et je découvrais des mot wendat sur la vision du monde de mes ancêtres, raconte-t-elle. À compter de 2007, à l’Université Laval, j’ai fait partie du projet de recherche Yawenda’, “la voix” en wendat, axé sur la revitalisation de cette langue.»
Le projet Yawenda’ s’inscrit dans une alliance de recherche entre la communauté de Wendake et l’Université. Le Département d’anthropologie répondait ainsi aux autorités de la nation wendat qui souhaitaient redonner vie à leur langue ancestrale que plus personne ne parlait depuis environ 150 ans. Rappelons que le wendat fait partie de la famille linguistique iroquoienne. Les langues iroquoiennes du Nord comprennent le tuscarola, le wyandot, le sénéca, le cayuga, l’onondaga, l’onéida, le mohawk et le wendat.
La documentation d’archives
Comment revitalise-t-on une langue sans avoir de locuteurs vivants? «Il faut travailler avec la documentation d’archives, répond-elle. Par chance, notre langue a été bien documentée par des missionnaires français, surtout les jésuites, aux 17e et 18e siècles.»
Cette documentation comprend 12 dictionnaires, 3 grammaires et des traductions de textes du Nouveau Testament. Au total, le corpus représente 4700 pages. «C’est beaucoup», dit-elle.
À ce moment de la conférence, la chercheuse a montré sur son document PowerPoint un aperçu d’un dictionnaire wendat-français publié en 1751 par Pierre Potier sous le titre Radices huronicae. Sur cette page manuscrite, on peut lire le mot annonchia accompagné de deux traductions françaises: «cabane» et «maison».
Selon Megan Lukaniec, les auteurs jésuites créaient de faux infinitifs pour structurer l’information. Or, l’infinitif n’existe pas dans les langues iroquoiennes du Nord. «Les jésuites ont inventé une forme pour structurer les entrées dans leurs dictionnaires, poursuit-elle. Ils avaient un système pour organiser toutes les informations dans leurs grammaires. Ils ont travaillé fort pour mettre l’information grammaticale en latin.»
Selon elle, les jésuites n’ont pas bien transcrit tous les sons de la langue wendat, surtout le h et le coup de glotte. «Les auteurs, souligne-t-elle, n’avaient pas nécessairement la connaissance des sons dans d’autres langues, surtout le h, l’aspiration en linguistique, et le coup de glotte représenté par une apostrophe dans l’orthographe standardisée. Ils travaillaient plus ou moins ces deux sons. Pour ces raisons, on ne peut tout simplement prendre ce qui est écrit dans les manuscrits et l’utiliser tel quel dans l’enseignement de la langue.»
C’est ici qu’intervient le processus de reconstruction. ll vise à réparer chaque partie de chaque mot, à le remettre dans l’état dans lequel il était prononcé pas les ancêtres hurons-wendat. Cela se fait avec l’aide des langues apparentées. On prend un terme d’une autre langue iroquoienne et on l’adapte au système de sons wendat.
«C’est ainsi que le mot “maison” dans les 7 autres langues iroquoiennes contient un h partout, indique la chercheuse. On est donc pas mal certains que ce h a existé dans la langue wendat. C’est la faute des jésuites de ne pas l’avoir entendu. Avec le préfixe pronominal, le mot “maison“ en wendat standardisé s’écrit yänonhchia.»
La reconstruction de la langue wendat traditionnelle s’accompagne d’un volet modernisation. Des innovations lexicales viennent enrichir la langue en décrivant des entités ou des concepts contemporains. Megan Lukaniec intervient également sur cet aspect. «Chaque innovation doit respecter la structure grammaticale de notre langue, ainsi que notre culture et notre vision du monde, poursuit-elle. Mon rôle est de faire des recherches comparées avec les autres langues iroquoiennes du Nord et de proposer des innovations au Comité de travail de la langue wendat.»
Une revitalisation aux multiples facettes
Le projet de recherche Yawenda’ se poursuit. Il a permis de former une équipe d’enseignants, de produire du matériel pédagogique et d’enseigner le wendat aux adultes. Le système d’orthographe et de la prononciation a été restandardisé. Les recherches linguistiques, elles, se poursuivent en matière de lexique et de grammaire. Enfin, plusieurs lexiques imagés avec support audio ont été réalisés dans le cadre du projet.
Les premiers cours de wendat ont été donnés en 2010 au Centre de développement de la formation et de la main-d’œuvre huron-wendat. La langue a commencé à être enseignée dans une école primaire en 2011. Des cours de wendat sont maintenant offerts à l’occasion aux tout-petits du CPE local et un cours accrédité est donné à des élèves du secondaire.
«À l’été 2022, un camp immersif en langue et culture de 7 semaines a attiré 9 jeunes adultes de 15 à 30 ans, dit-elle. C’était génial. Nous avons aussi développé un site Web qui contient un dictionnaire, des jeux, des exercices interactifs. Nous avons également créé une série de 9 livres de fiction en français et en wendat inspirés de la langue et de la culture huronne-wendat. Deux résidents de Wendake ont imaginé les histoires et dessiné les illustrations. Les récits reculent dans le temps pour parler de ce que nos ancêtres faisaient. C’est un moyen de se réapproprier ces traditions qui, pour certaines, sont toujours en dormance.»
Depuis 2020, Megan Lukaniec, secondée par un programmeur et des auxiliaires de recherche, mène un projet de dictionnaire numérique de la langue wendat financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il porte le nom de Kwakwendahchondiahk, «Nous préparons nos mots». L’objectif visé consiste à compiler 2 dictionnaires bilingues de la langue wendat avec un minimum de 2000 entrées. Les données proviennent d’un dictionnaire wendat-français – français-wendat, et d’un dictionnaire wendat-anglais – anglais-wendat.
«Même si je fais du travail de reconstruction de la langue depuis 2008-2009, explique-t-elle, je n’ai jamais eu de système numérique pour mettre tout ensemble. Il n’existe aucun logiciel capable de faire ce travail de la façon dont je le fais actuellement. Nous avons donc développé ce système.»
Des retombées concrètes
Megan Lukaniec croit que le processus de revitalisation de la langue ancestrale est sur une lancée. Elle en veut pour preuve le résultat d’un sondage mené en 2021 auprès des hurons-wendat de Wendake et de ceux vivant à l’extérieur de la communauté, au Québec comme au Canada. Plus de 600 d’entre eux ont répondu au questionnaire. La plupart, soit 89% des répondants, se sont dit d’accord ou fortement d’accord avec l’affirmation suivante: «La langue wendat est fondamentale pour l’existence et l’identité de la nation huronne-wendat».
«On voit qu’on a un soutien, affirme-t-elle. Comparé à ce que j’ai observé dans le passé, cet intérêt a augmenté au fil des années. Il y a une volonté de réappropriation, une “soif” communautaire de la langue comme marqueur identitaire. Il y a vraiment un goût de l’incorporer dans la vie de tous les jours. On remarque un usage de plus en plus grand du wendat, que ce soit pour se saluer en personne et même par écrit dans les courriels, pour nommer des projets, des initiatives et autres.»
Selon la chercheuse, ce processus de revitalisation va plus loin que parler une langue qui était en dormance. «La langue, dit-elle, fait partie d’un processus de réappropriation de qui on est comme huron-wendat, c’est un processus de renouvellement communautaire. On l’a vu dans les premiers cours donnés en 2010. Des gens sont venus en famille. Il y avait vraiment un sentiment familial. Je pense aussi que c’est un processus de guérison. Beaucoup de bagage vient avec ce réapprentissage. Ce n’est pas facile de réapprendre sa langue ancestrale. C’est un processus de décolonisation, un processus émotionnel.»